Robert
Chambeiron, président-délégué de l' ANACR, est aujourd'hui
le seul à pouvoir témoigner de la préparation et du déroulement
de la réunion constitutive du "Conseil national de la
Résistance" à laquelle il participa. Proche de Jean Moulin,
l'initiateur et le premier président CNR, il en sera le secrétaire-général
adjoint. C'est donc un témoin privilégié que nous avons interrogé.
Ses réponses apportent à la connaissance historique d'un organisme
dont l'existence et le programme ont puissamment contribué
à la libération de notre pays et à sa reconstruction, même
si toutes les espérances dont ils étaient porteurs n'ont pas
toutes été satisfaites. Laissons la parole à Robert Chambeiron.
Le C.N.R a été constitué le 27 mai 1943. le processus ayant
conduit à sa création a été initié à quelle époque?
Robert Chambeiron: Il
est difficile de situer avec précision la date des premières
initiatives ayant conduit à la création du C.N.R. La Résistance
a été un corps vivant, et son évolution n'a pas échappé aux
mouvements qui agitaient la société de l'époque. Beaucoup
de temps s'est écoulé entre l'effondrement de juin 1940 et
la prise de conscience de la nécessité de s'unir.
Dès le début, la Résistance est fragmentée. Il n'y a pas,
ou peu, de liaisons entre les mouvements et encore moins avec
Londres. En outre, les formes d'organisations et d'action
ne sont pas les mêmes dans la Zone occupée, en prise direct
avec l'occupant et son appareil répressif, et dans la Zone
dite libre où une certaine liberté de mouvement, même réduite,
existait, au moins jusqu'au mois de novembre 1942.
Le débarquement allié en Afrique du Nord, l'écrasement de
l'armée Von Paulus sur le front de Stalingrad, une répression
de plus en plus féroce, l'institution du Service du Travail
Obligatoire, c'est-à-dire la déportation organisée de la jeunesse
française en Allemagne pour combler les pertes subies par
l'armée hitlérienne sur le front soviétique, notamment vont
détruire le mythe d'une Allemagne invincible, apporter aux
Français des motifs de résister aux nazis et à Vichy, et de
s'approcher progressivement de la Résistance, dont l'action
a pris de l'ampleur significative.
Mais, pour vaincre, il faut être uni. Les bataillons ne sont
pas suffisants, il faut une armée. Ce sera l'objectif de Jean
Moulin dès le début 1941. Recenser les forces de la Résistance
sur le sol national, et rencontrer le Général de Gaulle pour
assurer l'unité de combat de la résistance intérieure et de
celle qui opère sur les théâtres extérieurs de guerre. Si
des signes très forts sont apparus sans la volonté d'union
des principaux dirigeants des mouvements de Résistance, disons
au cours de l'année 1942, le véritable tournant de la résistance
se situe le 27 mai 1943, quand Jean Moulin réunit le "
Conseil National de la Résistance". pour cela il a fallu
surmonter bien des obstacles, mais le but a été atteint, l'unité
totale.
L'origine de la création du C.N.R se situe t-elle à Londres
ou en France occupée ?
R.C.:Historiquement, les initiatives ayant conduit à la
création du C.N.R. sont venues de la France occupée. Et Jean
Moulin en est le symbole. A Londres, il parlait au nom de
la Résistance intérieure. Et il a été le seul commissaire
(c'est à dire ministre) dans le Comité Français de Libération
Nationale (C.F.L.N) présidé par de Gaulle qui assumât ses
fonctions sur le sol national. A compter de janvier 1942,
lorsque Jean Moulin revient de son premier séjour à Londres,
c'est en accord avec le C.F.L.N et son président que seront
menées les négociations, souvent ardues, avec les mouvements,
les syndicats et les partis républicains résistants.
La création du C.N.R donne à la Résistance unie une dimension
nationale et une autorité accrue, en même temps qu'elle apporte
au Général de Gaulle la légitimité que lui contestaient les
alliés anglo-saxons. Les manœuvres de Vichy, à travers la
personne du Général Giraud, ont échoué, et le danger est écarté
de l'installation en France d'une administration militaire
alliée pilotée par les Américains. Seul le drapeau français
flottera au fronton des édifices publics.
En mai 1943, la France est occupée depuis trois ans.
Pourquoi le C.N.R n'a t-il pas été créé plus tôt ?
R.C: L'obstacle à la création du C.N.R est venu de l'opposition
de certains dirigeants de la résistance, notamment dans la
Zone sud, à la représentation moins des syndicats que des
partis politiques, qui à cette époque, étaient vomis de la
population; soit à cause d'une propagande forcenée tendant
à les rendre responsables d'une défaite qui fut, en réalité,
l'œuvre des hommes de Vichy, soit du fait du vote du 10 juillet
par lequel députés et sénateurs s'étaient couchés devant Pétain,
et qui avaient indigné ceux des Français qui gardaient au
cœur la démocratie. Seuls échappaient à l'hostilité le Parti
Communiste, qui avait été interdit dès 1939 et dont les députés
ne pouvaient plus siéger à Vichy et les quelques dizaines
de parlementaires courageux qui avaient voté contre Pétain
(les"80"), ou qui n'avaient pu participer au vote
mais dont l'attachement à la République n'était pas contestable.
Fin 1942 - début 1943, les partis républicains avaient fait
le ménage dans leur rangs et écarté les éléments qui s'étaient
déshonorés à Vichy: ils demeuraient pour beaucoup la référence
démocratique. L'unité entre les mouvements pouvait aller sans
difficulté. Dans la Zone nord, les cinq mouvements de la résistance
qui avaient été retenus pour faire partie du C.N.R se rassemblèrent
en un " Comité de Coordination" faisant pendant
aux "Mouvement Unis de la Résistance regroupant Combat,
Libération et Franc-Tireur dans la zone Sud... Mais, dès que
furent levés les obstacles à la création d'un C.N.R conforme
à la mission que Jean Moulin avait reçue du Général De Gaulle,
et que le C.N.R devint opérationnel, le Comité de Coordination
de la Zone nord et les M.U.R en Zone Sud finirent par perdre
toute justification comme facteurs d'unité de toute la Résistance.
Rapidement, ils ne furent plus que des coquilles vides. La
Direction Nationale de la Résistance était désormais confiée
au Conseil National de la Résistance, organe unique à l'image
de toute la Résistance.
La résistance intérieure s'est développée dans un contexte
à l'évidence différent de celui que connaissaient les combattants
de la France libre. L'acceptation de l'autorité du CFLN et
de celle du Général de Gaulle n'a-t-elle pas posé des problèmes
?
R.C: La Résistance ne pouvait présenter qu'un seul visage,
autrement toutes les manoeuvres auraient été possibles et
son autorité eût éte affaiblie. Jean Moulin avait trouvé en
Zone sud des dirigeants qui, pour différentes raisons, sans
exclure une part d'ambition personnelle, rejetaient l'autorité
de de Gaulle, au nom de leur indépendance, c'est à dire se
condamnaient à l'isolement au motif de rester les maîtres
dans leur étroit domaine. Certains d'entre eux s'abstiendront
même d'assister à la création du Conseil National de la Résistance,
mais leur absence ne modifiera pas le cours des évènements.
Dès ses premiers moments, le C.N.R se place sous l'autorité
du C.F.L.N, gouvernement provisoire que préside de Gaulle.
Mais ce dernier est à Londres, et c'est le C.N.R qui assurera
l'exercice de la souveraineté nationale jusqu'à la Libération.
Le Général de Gaulle a un "délégué" en France qui,
dans le cadre de sa mission, assure la liaison avec le C.N.R.
Précisément ce délégué est Jean Moulin. Quelle est la part
de l"équation personnelle" de Jean Moulin dans la
création du C.N.R ?
R.C: Ce n'est pas le hasard qu'on a présenté Jean Moulin
comme l'unificateur de la Résistance. Dans son discours au
Panthéon, Malraux souligne le rôle essentiel de Jean Moulin
dans la création de "l'armée des ombres". Ce qu'on
sait moins, c'est qu'au mois de mai 1940, alors qu'il était
encore préfet à Chartres, Jean Moulin avait compris que le
sort des armes françaises était scellé et écrivait alors à
un ami:" nous allons devoir résister, nous compter et
nous unir". Jean Moulin a le sens de l'État, c'est un
préfet républicain,, attaché aux valeurs de la République
et au respect de la parole donnée. Son rôle dans l'aide à
l'Espagne républicaine est bien connu; sa condamnation des
accords de Munich aussi. Il sait qu'il n'y a pas de conciliation
possible avec l'idéologie nazie et n'a jamais nourri la moindre
illusion sur Pétain, étrangleur de la République. Il ne pouvait,
bien que venu d'un milieu de gauche, que s'entendre avec de
Gaulle, issu d'une famille de tradition conservatrice. Ils
avaient en commun l'attachement à la patrie et à la souveraineté
de la France, le même sens de l'État.
|
Jean
Moulin dit "Max"
Premier Délégué Général en France occupée et
Commissaire (ministre) du Comité Français de Libération
Nationale
Premier Président du Conseil National de la Résistance
Compagnon de la Libération
|
"Max,
pur et bon compagnon de ceux qui n'avaient foi qu'en
la France.
A su héroïquement mourir pour elle". Charles
De Gaulle
|
Dans les rapports parfois conflictuels qu'il eut avec certains
dirigeants de la Résistance, il apparut comme un homme d'État
ayant une compréhension géopolitique lui permettant d'apprécier
la situation de l'époque dans toutes ses dimensions. Il savait
écouter et n'imposa jamais son point de vue, que seule, sa
force de conviction conduisait son interlocuteur à partager.
Quelles qu'aient été les appréciations portées sur le rôle
de Jean Moulin, jamais personne ne mit en doute la force et
la sincérité de ses convictions. C'était un homme respecté,
et sa foi dans l'avenir du pays et de la République vint à
bout des résistances les plus opiniâtres.
Quels critères ont présidé au choix des mouvements, syndicats
et partis
appelés à faire partie du C.N.R ?
R.C: Pour être efficace, le Conseil National de la Résistance
devait être d'une dimension raisonnable, c'est à dire une
structure suffisamment légère pour travailler sérieusement
sans éveiller l'attention des forces de répression. C'est-à-dire
qu'un choix s'imposait. Mais il fallait surtout que toutes
les sensibilités de l'opinion y aient leur place sans qu'aucune
d'entre elles n'y eut une part prépondérante. Dans la Résistance,
la loi de la majorité n'avait aucun sens. Seule l'unanimité
donnait l'assurance que les décisions arrêtées en commun seraient
mises en oeuvre par tous. Chaque organisation membre du C.N.R
conservait son identité et la responsabilité du choix dans
la mise en oeuvre des décisions communes selon les formes
les mieux adaptées au terrain et aux circonstances. L'entrée
des syndicats clandestins dans le C.N.R se fit sans opposition.
Les deux seules organisations qui pouvaient prétendre parler
au nom des travailleurs étaient la C.G.T, réunifiées depuis
les accords du Perreux en 1942, et les syndicats chrétiens.
Leur place dans le C.N.R ne se discutait pas. Ils avaient
montré leur capacité d'organisation et de mobilisation lors
des grands rassemblements de masse pour de meilleures conditions
de vie et des droits syndicaux réels. Pour les mouvements,
c'était un autre problème. Il y avait beaucoup de candidats,
mais comme on ne pouvait pas réunir tout le monde, le parti
fut pris de s'en tenir aux 8 mouvements les plus représentatifs,
c'est à dire, cinq en Zone nord et trois en Zone sud. Ce choix
fut bien accepté, d'autant que des contacts avaient été établis
depuis longtemps entre certains mouvements et qu'au travers
de ce maillage chacun se trouvait directement ou indirectement
représenté au C.N.R.
J'ai dit que la représentation des partis politiques avait
été plus difficile à négocier. A partir du moment où le principe
avait été acquis, il fallait que le plus large éventail politique
se retrouvât dans le C.N.R.; c'est à dire du parti communiste
au parti conservateur en passant par les socialistes, les
radicaux, les chrétiens, etc. Là encore on veilla à ce qu'il
n'y eut aucune sur-représentation qui aurait pu nuire à l'équilibre
de l'édifice. J'ai fait allusion à la situation à Alger au
printemps 1943. Les Américains se méfiaient de de Gaulle,
dont les relations avec Roosevelt n'étaient pas les meilleures,
loin de là. Ils ne le tenaient pas pour un vrai démocrate
et le soupçonnaient d'aspirer à la dictature. Le général Giraud,
bien que fidèle à Pétain ne les effrayait pas. Ce qu'il contestaient
à de Gaulle, c'est de ne pas avoir le soutien des forces démocratiques.
Ils ne comprenaient pas les mouvements de Résistance et pour
eux une véritable démocratie était fondée sur l'existence
de partis politiques et de syndicats.
La bataille pour la représentation des partis politiques au
sein du C.N.R était donc décisive. Jean Moulin finit par convaincre
les opposants et la suite confirma la pertinence de ses vues.
La création du C.N.R fut déterminante dans l'attitude des
alliés à l'égard de de Gaulle et ce dernier, dans ces Mémoires
de Guerre, a dit combien avait été décisif le soutien du C.N.R.
Dans
quelles circonstances ont été retenus le lieu et la date de
la réunion constitutive du C.N.R ?
R.C.:Le
principe de la création du C.N.R avait été confirmé par les
deux missions que de Gaulle avait confiées à Jean Moulin en
1942 et en 1943, lors de leurs rencontres à Londres. Il fallait
passer à l'application, le mois de mai 1943 fut retenu pour
la réunion constitutive. Les diverses formes de résistance,
mouvements, partis, syndicats, avaient acquis une grande expérience
de la vie illégale et les arrestations nombreuses qui avaient
décimé certaines organisations avaient conduit au renforcement
des règles de sécurité, rendant moins périlleuses les rencontres
clandestines.
Au mois de mai l'accord politique étant réalisé, il ne restait
plus que la réunion à organiser. Paris était la véritable
capitale de la Résistance. Cela ne veut pas dire qu'il n'y
avait de résistance qu'à Paris, mais les responsables au niveau
le plus élevé y résidaient, clandestinement bien entendu.
Jean Moulin, Pierre Meunier et moi appartenions avant la guerre
à l'équipe de Pierre Cot le ministre du Front Populaire. Tout
comme le colonel Frédéric Manhès qui fut un des bras droits
de Jean Moulin, mais qui fut arrêté au début de l'année 1943
et déporté à Buchenwald. Nous étions habitués à travailler
ensemble et formions une équipe homogène et soudée. Il était
normal que le choix du lieu de la réunion se porte sur un
appartement qu'occupait un haut fonctionnaire de nos amis.
Nous connaissions ses sentiments patriotiques et républicains
et aussi son courage car, pour lui et sa famille le moindre
accident aurait pu avoir des conséquences dramatiques. C'était
dans un quartier de Paris suffisamment fréquenté pour que
des mouvements discrets n'y soient pas remarqués. La date
du 27 mai avait été communiquée à chacun, mais il parut préférable,
pour assurer la maximum de sécurité de ne communiquer à personne
l'adresse du lieu de la réunion. Seuls Jean Moulin, Pierre
Meunier et moi même la connaissions. Chaque délégué avait
un rendez-vous éloigné du lieu de réunion et c'est deux par
deux que Pierre Meunier et moi même allâmes les récupérer.
Cette réunion a été la plus importante dans l'histoire de
la Résistance, et aussi la plus périlleuse en raison de la
qualité des participants tous recherchés par la police. Nous
avons conservé la même technique pour l'organisation ultérieure
des réunions du C.N.R et de son Bureau. Jamais nous n'eûmes
le moindre désagrément. Plus d'un demi-siècle après, je ne
cesse de penser que si les mêmes précautions de sécurité avaient
été prises lors du rendez-vous de Caluire, Hardy n'aurait
jamais pu conduire la Gestapo jusqu'au lieu de réunion et
Jean Moulin n'aurait pas été arrêté.
La réunion fut relativement brève. Sécurité oblige. Jean Moulin
rappela les buts de la France Combattante tels que les avaient
définis de Gaulle. Le représentant des Chrétiens-Démocrates
Georges Bidault présenta une motion qui, après échange de
point de vues, fut adoptée à l'unanimité et qui soulignait
notamment la volonté de la Résistance de voir se constituer
à Alger un gouvernement présidé par le Général de Gaulle.
On a écrit beaucoup de choses sur l'âpreté des discussions.
En fait tout se déroula dans une atmosphère d'unité patriotique
et de dignité.

|
Le
CNR reconnut l'autorité du Général de Gaulle
|
Comment va s'organiser l'activité du C.N.R et dans quel
sens ?
R.C:L'arrestation de Jean Moulin en juin 43 retarda, mais
de très peu relativement, la mise en place des structures
du C.N.R; de trois mois environ, ce qui est peu si l'on veut
se souvenir que le travail clandestin imposait des servitudes
particulières. Nous n'avions pas d'adresses, pas de téléphone,
pas de bureau fixe, et chacun avait un nom qui n'était pas
le sien et que les autres ne connaissaient pas. Heureusement
d'ailleurs.
Dans l'ordonnance concernant le Conseil National de la Résistance,
et les diverses déclarations de de Gaulle, notamment celle
du début mai 1943, les tâches du C.N.R ne sont pas précisées.
A Londres, la Résistance intérieure était surtout considérée
comme une force d'appoint au moment du débarquement. Mais
le C.N.R était né du combat, pour le renforcer, et ne pouvait
pas ne pas se consacrer aussi à son développement. Le premier
appel à la Nation, lancé par le C.N.R assume, en communauté
étroite avec le Comité Français de la Libération Nationale
et dans la fidélité à la doctrine de la France combattante,
la mission d'inspirer, de coordonner et de diriger la lutte
du peuple français sur son propre sol. Comme je l'ai dit,
le C.N.R ne fait pas disparaître l'identité des organisations
qui le composent. Il les unit dans la diversité. Pour assurer
le maximum de sécurité, ce qui excluait la répétition de réunions
nombreuses, le C.N.R ne tiendra que trois séances plénières
jusqu'à la Libération, tout en effectuant un travail efficace.
A compter de septembre 43, le travail permanent sera assuré
par un Bureau de cinq membres qui lui se réunira très fréquemment
au moins une fois par semaine. Chacun y représente sa propre
organisation et deux autres membres qui l'ont désigné. Quand
ils seront créés, les Comités départementaux de la Libération
constitueront le prolongement dans le pays du C.N.R. Avec
le C.N.R, la Résistance a une dimension nationale.

|
Un
Comité départemental de Libération
Celui de Saintes en Charente-Maritime
|
Quelles conséquences politiques va avoir l'arrestation
de Jean Moulin ?
R.C: Le disparition de Jean Moulin en juin 43 va modifier
l'ordre des choses, mais le travail du C.N.R ne s'en ressentira
pas. Jean Moulin était à la fois le Président du Conseil National
de la Résistance et le représentant en France occupée du C.F.L.N.,
présidé par de Gaulle. Jean Moulin n'avait pas, en France,
d'adjoint envoyé par Londres qui ait l'autorité suffisante
pour s'imposer à la résistance intérieure. Jean Moulin n'avait
été accepté dans sa double mission que parce qu'il était un
combattant de l'intérieur. On ne pouvait pas ouvrir une crise
qui aurait nui à l'unité de la Résistance. Le C.N.R décida
par un vote, de désigner un successeur à Jean Moulin.
Ce fut Georges Bidault qui, représentant les chrétiens-sociaux,
se situait au centre de l'échiquier politique, c'est-à-dire
en bonne position pour veiller à l'équilibre et à l'unité
du C.N.R. Il avait pour lui qu'avant la guerre, il avait été
très actif dans la lutte contre les accords de Munich, et
Jean Moulin avait pensé que s'il venait à disparaître, Georges
Bidault serait le meilleur candidat. Ce dernier, en outre,
appartenait à la fois à Combat et au Front National.
On a dit beaucoup de sottises sur les conditions de l'élection
de G. Bidault. On a prétendu que son élection a été une manœuvre
de Pierre Meunier et de moi, téléguidée par le Parti Communiste.
Cela ne repose sur aucun fondement. C'était l'homme qui correspondait
aux exigences de la situation. Il n'est pas sain de juger
les événements de cette époque en fonction de nos préférences
contemporaines.
Lorsque le C.F.L.N, puis le gouvernement d'Alger (GPRF)
sont bicéphales, avec à leur tête De Gaulle et Giraud, dont
on connaît l'antagonisme, comment le C.N.R se positionne t-il
alors ?
R.C: Au printemps de 1943, la querelle de Gaulle-Giraud
retenait toute l'attention de la Résistance. le Général Giraud
n'avait jamais caché qu'il demeurait fidèle à Pétain, et on
peut penser que son évasion avait été organisée avec le concours
des services secrets américains. C'était du pétainisme sans
les nazis . Mais c'était quand même la politique antipopulaire
de Pétain.
Par le canal du C.N.R, la Résistance intérieure signifia sa
confiance à de Gaulle pour diriger le gouvernement provisoire.
Par sa dimension nationale, par son autorité dans le pays
occupé, la Résistance intérieure était en position de faire
valoir ses exigences.
Le Général de Gaulle a, en la personne d'un délégué général,
un représentant personnel en France occupée. Quels rapports
ce dernier entretient-il avec le C.N.R ?
R.C: Les rapports entre le C.N.R et la délégation générale
de de Gaulle en France étaient bons. Le représentant de de
Gaulle assistait aux réunions du C.N.R et du Bureau. Le seul
point d'accrochage sérieux, se situe au cours des combats
de la Libération de Paris, à propos de la trêve. le C.N.R
avait rejeté la trêve proposée par les Allemands, et l'envoyé
de de Gaulle finit par se rallier non sans vives discussions
à ce point de vue. Il n'était pas imaginable que le peuple
de Paris ne soit pas l'acteur de sa propre délivrance et laisse
les nazis quitter tranquillement Paris avec armes et bagages.
Plus généralement, quels vont être les rapports entre le
Résistance intérieure-que représente le C.N.R, et la France
libre ?
R.C: L'autorité du C.N.R tient au fait qu'il regroupe
toutes les forces de la Résistance intérieure. Comme je l'ai
dit déjà, chacune de ses organisations conserve son identité
mais applique les mêmes décisions. Le C.N.R dirige la Résistance
dans tous ses aspects. La coopération avec Londres ne va pas
toujours sans problèmes. La Résistance Intérieure n'entend
pas être un simple organisme d'exécution de consignes venues
de l'extérieure et qui pourraient entraver son développement.
Il y a jusqu'au printemps de 1944, une différence de perspective
entre le C.N.R et Londres. A Londres, on souhaite que la Résistance
soit une force d'appoint au moment du débarquement. Attentisme
ou action directe, telle est la problématique. A Paris, le
niveau de combativité du peuple est élevé. Le C.N.R parle
et agit avec l'autorité des forces qui luttent pour leur libération.
Il lance des mots d'ordre d'action. Il traduit la volonté
des Résistants de participer à leur propre libération.
Outre par son rôle de fédérateur de la Résistance, le C.N.R
est entré dans l'histoire par son programme. Comment ce programme
a t-il été élaboré, et dans quelle optique ?
R.C: Le programme du C.N.R n'est pas né dans une nuit.
Sa rédaction a été précédée de longues discussions. Plusieurs
textes ont été examinés, provenant de l'une ou de l'autre
des parties engagées. Le texte adopté en mars 1944 a comme
vertu de mettre en cohérence la volonté de lutte et l'exigence
de la société post-libération. Dans la première partie du
programme le C.N.R après avoir insisté auprès du Gouvernement
provisoire pour que les Résistants reçoivent de armes, décide
une série de mesures destinées à mobiliser l'opinion et à
la préparer politiquement et militairement à l'assaut final.
Il serait fastidieux d'énumérer ces mesures qu'on trouve dans
la première partie du programme du C.N.R. Au cours de l'année
1942, on trouve dans la presse clandestine une exigence qui
va au-delà de la Libération du territoire. Il ne suffit pas
de se battre, faut-il encore savoir pourquoi. Les sacrifices
très lourds payés par les Résistants ne doivent pas être inutiles.

|
Milicien
de Vichy gardant des Patriotes arrêtés.
Le CNR demandera le châtiment des traitres
|
Pas question de voir revenir sur le devant de la scène les
hommes et les forces de la collaboration, qui ont pillé le
pays et brisé les institutions républicaines. Une large gamme
de mesures à appliquer après la Libération est définie. Ce
qu'il faut retenir, c'est que cette partie du programme répond
à la volonté de changement exprimé par la Résistance de bâtir
une société plus juste, plus solidaire, plus démocratique,
plus ouverte.
Quel a été le rôle du Comité Général d'Études dans l'élaboration
du programme du C.N.R ?
R.C: Le Comité général d'Études, c'est le nom qui s'imposa,
avait été créé par Jean Moulin en 1942 pour être en France
même le Conseil politique du Comité Français de Libération
Nationale de Londres; il s'installa à Paris en 1943. A cette
époque, le Conseil National de la Résistance et la Délégation
Générale du gouvernement de Londres en France occupée restent
les deux seules institutions se partageant l'autorité gouvernementale
sur l'ensemble de la Résistance intérieure. Le rôle du C.G.E
ne sera pas des moindres même si de sérieux conflits d'attribution
notamment avec les mouvements de résistance de la zone nord,
se produisirent. Mais on ne peut en quelques phrases résumer
le rôle et l'apport du Comité Général d'Études. Disons, à
propos du programme du C.N.R, que le texte du C.G.E fut l'un
des 5 ou 6 qui furent examinés. Mais seul le projet présenté
par le Front National (le vrai) et aménagé par les M.U.R (Zone
sud) fut retenu en raison de sa cohérence puisqu'il liait
la lutte pour la libération à l'exigence d'une société nouvelle
après la Libération.
Les femmes ont joué un rôle important, décisif à bien des
égards, dans la Résistance. Or, le programme du C.N.R est
muet sur le droit de vote des femmes...
R.C: Le programme adopté à l'unanimité, en mars 1944,
par le C.N.R est l'expression de la volonté de la Résistance
de participer pleinement -c'est à dire de ne pas être une
force d'appoint - à la Libération du pays, en liaison avec
les armes alliées. Et, en même temps, il traduit l'exigence
d'un peuple, qui se bat et meurt face à une occupation étrangère
sans pitié, d'en finir non seulement avec la présence des
nazis mais aussi avec celle du gouvernement Pétain, lequel
a plongé le pays dans le déshonneur de la collaboration et
dans la misère. C'est donc un programme de caractère progressiste,
qui comporte toute une série de mesures sur les plans politique,
économique et social, mesures que de Gaulle avait évoquées
dans son discours d'Alger en novembre 1943. C'est un programme
qui correspond au rapport des forces du moment et n'aborde
que ce qui est susceptible de rencontrer l'unanimité des forces
de la Résistance. Il a donc ses limites et l'absence, par
exemple, de référence au droit de vote des femmes est caractéristique
des oppositions formulées par certains secteurs de la Résistance.
Mais la question doit être restituée dans le contexte d'il
y a 50 ans et non vue avec nos yeux d'aujourd'hui.
Ce qui est intéressant à noter, et c'est là un des aspects
de la portée historique du programme du C.N.R, c'est qu'aux
élections législatives qui suivirent immédiatement la Libération,
les femmes votant pour la 1ère fois, tous les partis politiques
sans exception, de la gauche à la droite, firent leur le programme
du C.N.R. Il correspondait donc bien à la sensibilité de l'époque.
Qu'en a t-il été de la mise en oeuvre du programme du C.N.R
?
R.C: De la victoire sur l'Allemagne hitlérienne en mai
1945 à la moitié de 1947, les conditions ont été favorables
pour la mise en oeuvre d'un grand nombre de dispositions contenues
dans le programme du C.N.R. Rappelons, par exemple, l'institution
de la Sécurité Sociale, la nationalisation des grands groupes
de l'énergie, du transport et du crédit, la loi sur l'assurance-vieillesse,
la Constitution de la IVe République, la loi sur les Comités
d'entreprise, sur les conventions collectives, sur le salaire
minium vital, etc.
Le Conseil National de la Résistance est alors au cœur de
la vie publique. Mais les espoirs nés de la Résistance vont
malheureusement céder la place aux tensions de la guerre froide.
La désunion des pays hier alliés dans le combat contre l'idéologie
criminelle du nazisme se répercutera dans les relations entre
Résistants. Des fractures graves vont affaiblir le courant
d'union né dans la Résistance. La guerre froide marque un
recul dans le progrès que contenait en germe le programme
du C.N.R.
Un demi-siècle s'est écoulé depuis la fin de la guerre. Peut-on
dire que le programme du C.N.R a conservé son caractère d'actualité
? La réponse est oui. Bien sûr, il ne s'agit pas d'en réclamer
la mise en application mécanique. La situation n'est plus
la même. Mais ce qui demeure, et constitue un tremplin dans
la bataille contemporaine, ce sont les valeurs de caractère
universel qu'il contient, c'est à dire la liberté, la démocratie,
la justice sociale, la solidarité, la tolérance, l'indépendance
nationale, dont la sauvegarde est un devoir indispensable
à une époque où sont remises en cause ces valeurs de la Résistance,
c'est à dire de la République et où les négationnistes s'emploient
à pervertir la réalité de l'histoire.
En faisant du programme du C.N.R. sa référence constante,
l'A.N.A.C.R est fidèle à l'image de la Résistance et c'est
pourquoi elle est la seule organisation de ce type qui peut
revendiquer le pluralisme qui donna à la Résistance sa force
et sa grandeur.
Le
Conseil National de La Résistance
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LE PROGRAMME D'ACTION DE LA RÉSISTANCE
Née
de la volonté ardente des Français de refuser la défaite,
la Résistance n'a pas d'autre raison d'être que la lutte quotidienne
intensifiée.
Cette mission de combat ne doit pas prendre fin à la Libération.
Ce n'est, en effet, qu'en regroupant toutes ses forces autour
des aspirations quasi-unanimes de la Nation, que la France
retrouvera son équilibre moral et social et redonnera au monde
l'image de sa grandeur et la preuve de son unité.
Aussi, les représentants des organisations de Résistance,
des centrales syndicales et des partis ou tendances politiques
groupés au sein du C.N.R.,
délibérant
en assemblée plénière le 15 mars 1944,
ont-ils
décidé de s'unir sur le programme suivant, qui comporte
à la fois un plan d'action immédiate contre l'oppresseur
et les mesures destinées à instaurer, dès la libération
du territoire, un ordre social plus juste.
I
- PLAN D'ACTION IMMÉDIATE
Les représentants des organisations de résistance, des centrales
syndicales et des partis ou tendances politiques groupés au
sein du C.N.R., expriment leur angoisse devant la destruction
physique de la Nation que l'oppresseur hitlérien poursuit
avec l'aide des hommes de Vichy, par le pillage, par la suppression
de toute production utile aux Français, par la famine organisée,
par le maintien dans les camps d'un million de prisonniers,
par la déportation d'ouvriers au nombre de plusieurs centaines
de milliers, par l'emprisonnement de 300 000 Français et par
l'exécution des patriotes les plus valeureux, dont déjà plus
de 50 000 sont tombés pour la France.
Ils proclament leur volonté de délivrer la patrie en collaborant
étroitement aux opérations militaires que l'armée française
et les armées alliées entreprendront sur le continent, mais
aussi de hâter cette libération, d'abréger les souffrances
de notre peuple, de sauver l'avenir de la France en intensifiant
sans cesse et par tous les moyens la lutte contre l'envahisseur
et ses agents, commencée dès 1940.
Ils adjurent les gouvernements anglais et américain de ne
pas décevoir plus longtemps l'espoir et la confiance que la
France, comme tous les peuples opprimés de l'Europe, a placés
dans leur volonté d'abattre l'Allemagne nazie, par le déclenchement
d'opérations militaires de grande envergure qui assureront,
aussi vite que possible, la libération des territoires envahis
et permettront ainsi aux Français qui sont sur notre sol de
se joindre aux armées alliées pour l'épreuve décisive.
Ils insistent auprès du Comité Français de la Libération Nationale
pour qu'il mette tout en oeuvre afin d'obtenir des armes et
de les mettre à la disposition des patriotes. Ils constatent
que les Français qui ont su organiser la résistance ne veulent
pas et d'ailleurs ne peuvent pas se contenter d'une attitude
passive dans l'attente d'une aide extérieure, mais qu'ils
veulent faire la guerre, qu'ils veulent et qu'ils doivent
développer leur résistance armée contre l'envahisseur et contre
l'oppresseur.
Ils
constatent, en outre, que la Résistance Française doit ou
se battre ou disparaître : qu'après avoir agi de façon défensive,
elle a pris maintenant un caractère offensif et que seuls
le développement et la généralisation de l'offensive des Français
contre l'ennemi lui permettront de subsister et de vaincre.
Ils
constatent enfin que la multiplication des grèves, l'ampleur
des arrêts de travail le 11 novembre qui, dans beaucoup de
cas, ont été réalisés dans l'union des patrons et des ouvriers,
l'échec infligé au plan de déportation des jeunes Français
en Allemagne, le magnifique combat que mènent tous les jours,
avec l'appui des populations dans les Alpes, dans le Massif
Central, dans les Pyrénées et dans les Cévennes, les jeunes
Français des maquis, avant-garde de l'armée de la Libération,
démontrent avec éclat que notre peuple est tout entier engagé
dans la lutte et qu'il doit poursuivre et accroître cette
lutte.

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En
conséquence, les représentants des organisations de résistance,
des centrales syndicales et des partis ou tendances politiques
groupés au sein du C.N.R. déclarent que c'est seulement par
l'organisation, l'intensification de la lutte menée par les
forces armées, par les organisations constituées, par les
masses, que pourra être réalisée l'union véritable de toutes
les forces patriotiques pour la réalisation de la libération
nationale inséparable, comme l'a dit le Général De Gaulle,
de l'insurrection nationale qui, ainsi préparée, sera dirigée
par le C.N.R., sous l'autorité du C.F.L.N., dès que les circonstances
politiques et militaires permettront d'assurer, même au prix
de lourds sacrifices, son succès. Ils ont l'espoir que les
opérations de libération du pays, prévues par le plan de l'état-major
interallié, pourront ainsi être, le cas échéant, avancées
grâce à l'aide apportée par les Français dans la lutte engagée
contre l'ennemi commun, ainsi que l'a démontré l'exemple glorieux
des patriotes corses.

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L'aide
de la population à la Résistance-Ravitaillement d'un
maquis
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Le
Conseil National de La Résistance
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LE PROGRAMME D'ACTION DE LA RÉSISTANCE
I
- PLAN D'ACTION IMMEDIATE (suite)
Pour mobiliser les ressources immenses d'énergie du peuple
français, pour les diriger vers l'action salvatrice dans l'union
de toutes les volontés, le C.N.R. décide:
D'inviter
les responsables des organisations déjà existantes à former
des comités de villes et de villages, d'entreprises, par la
coordination des formations qui existent actuellement, par
la formation de comités là où rien n'existe encore et à y
enrôler les patriotes non organisés.
Tous
ces comités seront placés sous la direction des comités départementaux
de la libération (C.D.L.). Ils seront soumis à l'autorité
des C.D.L. qui leur transmettront, comme directive, la plate-forme
d'action et la ligne politique déterminée par le C.N.R.
Le
but de ces comités sera, à l'échelon communal, local et d'entreprise,
de faire participer de façon effective tous les Français à
la lutte contre l'ennemi et contre ses agents de Vichy, aussi
bien par la solidarité et l'assistance active à l'égard des
patriotes que par l'impulsion et le soutien donnés aux revendications
vitales de notre peuple. Par dessus tout, leur tâche essentielle
sera de mobiliser et d'entraîner les Français qu'ils auront
su grouper à l'action armée pour la libération.
Ces
comités devront, selon les circonstances et en se conformant
aux instructions données par les C.D.L., appuyer et guider
toutes les actions menées par les Français contre toutes les
formes d'oppression et d'exploitation imposées par l'ennemi,
de l'extérieur et de l'intérieur.
Ces
comités devront:
1. Développer la lutte contre la déportation et aider les
réfractaires à se cacher, à se nourrir, à se vêtir et à se
défendre, enlevant ainsi des forces à l'ennemi et augmentant
le potentiel humain de la résistance;
2.
Traquer et punir les agents de la Gestapo et de la Milice
de Darnand ainsi que les mouchards et les traîtres;
3.
Développer l'esprit de lutte effective en vue de la répression
des nazis et des fascistes français;
4.
Développer, d'une part, la solidarité envers les emprisonnés
et les déportés; d'autre part, la solidarité envers les familles
de toutes les victimes de la terreur hitlérienne et vichyssoise;
5.
En accord avec les organisations syndicales résistantes, combattre
pour la vie et la santé des Français par une lutte quotidienne
et incessante, par des pétitions, des manifestations et des
grèves, afin d'obtenir l'augmentation des salaires et des
traitements bloqués par Vichy et les Allemands, et des rations
alimentaires et attributions de produits de première qualité
réduites par la réglementation de Vichy et les réquisitions
de l'ennemi, de façon à rendre à la population un minimum
vital en matière d'alimentation, de chauffage et d'habillement;
6.
Défendre les conditions de vie des anciens combattants, des
prisonniers, des femmes de prisonniers, en organisant la lutte
pour toutes leurs revendications particulières;
7.
Mener la lutte contre les réquisitions de produits agricoles,
de matières premières et d'installations industrielles pour
le compte de l'ennemi; saboter et paralyser la production
destinée à l'ennemi et ses transports par route, par fer et
par eau;
8.
Défendre à l'intérieur de la corporation agricole les producteurs
contre les prélèvements excessifs, contre les taxes insuffisantes
et lutter pour le remplacement des syndicats à la solde de
Vichy et de l'Allemagne par des paysans dévoués à la cause
de la paysannerie française.
Tout
en luttant de cette façon et grâce à l'appui de solidarité
et de combativité que développe cette lutte, les comités de
villes, de villages et d'entreprises devront en outre:
a) Renforcer les organisations armées de Forces Françaises
de l'Intérieur par l'accroissement des groupes de patriotes,
groupes francs, francs-tireurs et partisans, recrutés en particulier
parmi les réfractaires;
b) En accord avec les états-majors nationaux, régionaux et
départementaux des F.F.I., organiser des milices patriotiques
dans les villes, les campagnes et les entreprises, dont l'encadrement
sera facilité par des ingénieurs, techniciens, instituteurs,
fonctionnaires et cadres de réserve, et qui sont destinées
à défendre l'ordre public, la vie et les biens des Français
contre la terreur et la provocation, assurer et maintenir
l'établissement effectif de l'autorité des Comités départementaux
de la Libération sur tout ce qui aura été ou sera créé dans
ce domaine par le strict rattachement aux F.F.I. dont l'autorité
et la discipline doivent être respectées par tous.
Pour assurer la pleine efficacité des mesures énoncées ci-dessous,
le C.N.R. prescrit que l'état-major national des Forces Françaises
de l'Intérieur, tout en préparant minutieusement la coopération
avec les Alliés en cas de débarquement, doit :
1.
Donner ordre à toutes les formations des F.F.I. de combattre
dès maintenant l'ennemi en harcelant ses troupes, en paralysant
ses transports, ses communications et ses productions en guerre,
en capturant ses dépôts d'armes et de munitions afin d'en
pourvoir les patriotes encore désarmés;
2.
Faire distribuer les dépôts d'armes encore inutilisées aux
formations jugées par lui les plus aptes à se battre utilement
dès à présent et dans l'avenir immédiat;
3.
Organiser de façon rationnelle la lutte suivant un plan établi
avec les autorités compétentes à l'échelon régional, départemental
ou local, pour obtenir le maximum d'efficacité;
4.
Coordonner l'action militaire avec l'action de résistance
de la masse de la nation en proposant pour but aux organisations
régionales paramilitaires d'appuyer et de protéger les manifestations
patriotiques, les mouvements revendicatifs des femmes de prisonniers,
des paysans et des ouvriers contre la police hitlérienne,
d'empêcher les réquisitions de vivres et d'installations industrielles,
les rafles organisées contre les réfractaires et les ouvriers
en grève et défendre la vie et la liberté de tous les Français
contre la barbare oppression de l'occupant provisoire.
Ainsi,
par l'application des décisions du présent programme d'action
commune, se fera, dans l'action, l'union étroite de tous les
patriotes, sans distinction d'opinions politiques, philosophiques
ou religieuses. Ainsi se constituera dans la lutte une armée
expérimentée, rompue au combat, dirigée par des cadres éprouvés
devant le danger, une armée capable de jouer son rôle lorsque
les conditions de l'insurrection nationale seront réalisées,
armée qui élargira progressivement ses objectifs et son armement.
Ainsi par l'effort et les sacrifices de tous sera avancée
l'heure de la libération du territoire national, ainsi la
vie de milliers de Français pourra être sauvée et d'immenses
richesses pourront être préservées.

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FFI
lors de la Libération de Grenoble
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Le
Conseil National de La Résistance
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LE PROGRAMME D'ACTION DE LA RÉSISTANCE
II
- MESURES A APPLIQUER DES LA LIBÉRATION DU TERRITOIRE
Unis quant au but à atteindre, unis quant aux moyens à mettre
en oeuvre pour atteindre ce but qui est la libération rapide
du territoire, les représentants des mouvements, groupements,
partis ou tendances politiques groupés au sein du C.N.R.,
proclament qu'ils sont décidés à rester unis après la libération
:
1.
Afin d'établir le gouvernement provisoire de la République
formé par le général de Gaulle pour défendre l'indépendance
politique et économique de la nation, rétablir la France dans
sa puissance, dans sa grandeur et dans sa mission universelle;
2.
Afin de veiller au châtiment des traîtres et à l'éviction
dans le domaine de l'administration et de la vie professionnelle
de tous ceux qui auront pactisé avec l'ennemi ou qui se seront
associés activement à la politique des gouvernements de collaboration;
3.
Afin d'exiger la confiscation des biens des traîtres et des
trafiquants de marché noir, l'établissement d'un impôt progressif
sur les bénéfices de guerre et plus généralement sur les gains
réalisés au détriment du peuple et de la nation pendant la
période d'occupation, ainsi que la confiscation de tous les
biens ennemis, y compris les participations acquises depuis
l'armistice par le gouvernement de l'Axe et par leurs ressortissants
dans les entreprises françaises et coloniales de tout ordre,
avec constitution de ces participations en patrimoine national
inaliénable;
4.
Afin d'assurer :
-
l'établissement
de la démocratie la plus large en rendant la parole au
peuple français par le rétablissement du suffrage universel;
-
la
pleine liberté de pensée, de conscience et d'expression;
-
la
liberté de la presse, son honneur et son indépendance
à l'égard de l'État, des puissances d'argent et des influences
étrangères;
-
la
liberté d'association, de réunion et de manifestation;
-
l'inviolabilité
du domicile et le secret de la correspondance;
-
le
respect de la personne humaine;
-
l'égalité
absolue de tous les citoyens devant la loi;
5.
Afin de promouvoir les réformes indispensables :
a)
sur le plan économique :
-
l'instauration
d'une véritable démocratie économique et sociale, impliquant
l'éviction des grandes féodalités économiques et financières
de la direction de l'économie;
-
une
organisation rationnelle de l'économie assurant la subordination
des intérêts particuliers à l'intérêt général et affranchie
de la dictature professionnelle instaurée à l'image des
États fascistes;
-
l'intensification
de la production nationale selon les lignes d'un plan
arrêté par l'État après consultation des représentants
de tous les éléments de cette production;
-
le
retour à la nation des grands moyens de production monopolisés,
fruit du travail commun, des sources d'énergie, des richesses
du sous-sol, des compagnies d'assurances et des grandes
banques;
-
le
développement et le soutien des coopératives de production,
d'achats et de ventes, agricoles et artisanales;
-
le
droit d'accès, dans le cadre de l'entreprise, aux fonctions
de direction et d'administration, pour les ouvriers possédant
les qualifications nécessaires, et la participation des
travailleurs à la direction de l'économie.
b)
sur le plan social :
-
le
droit au travail et le droit au repos, notamment par le
rétablissement et l'aménagement du régime contractuel
du travail;
-
un
rajustement important des salaires et la garantie d'un
niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque
travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et
la possibilité d'une vie pleinement humaine;
-
la
garantie du pouvoir d'achat national par une politique
tendant à la stabilité de la monnaie;
-
la
reconstitution, dans ses libertés traditionnelles, d'un
syndicalisme indépendant, doté de larges pouvoirs dans
l'organisation de la vie économique et sociale;,
-
un
plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous
les citoyens des moyens d'existence, dans tous les cas
où ils sont incapables de se le procurer par le travail,
avec gestion appartenant aux représentants des intéressés
et de l'État;
-
la
sécurité de l'emploi, la réglementation des conditions
d'embauchage et de licenciement, le rétablissement des
délégués d'atelier;
-
l'élévation
et la sécurité du niveau de vie des travailleurs de la
terre par une politique de prix agricoles rémunérateurs,
améliorant et généralisant l'expérience de l'Office du
blé, par une législation sociale accordant aux salariés
agricoles les mêmes droits qu'aux salariés de l'industrie,
par un système d'assurance contre les calamités agricoles,
par l'établissement d'un juste statut du fermage et du
métayage, par des facilités d'accession à la propriété
pour les jeunes familles paysannes et par la réalisation
d'un plan d'équipement rural;
-
une
retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement
leurs jours;
-
le
dédommagement des sinistrés et allocations et pensions
pour les victimes de la terreur fasciste.
c)
Une extension des droits politiques, sociaux et économiques
des populations indigènes et coloniales.
d)
La possibilité effective pour tous les enfants français de
bénéficier de l'instruction et d'accéder à la culture la plus
développée, quelle que soit la situation de fortune de leurs
parents, afin que les fonctions les plus hautes soient réellement
accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises
pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable,
non de naissance mais de mérite, et constamment renouvelée
par les apports populaires.
-----
Ainsi
sera fondée une République nouvelle qui balaiera le régime
de basse réaction instauré par Vichy et qui rendra aux institutions
démocratiques et populaires l'efficacité que leur avaient
fait perdre les entreprises de corruption et de trahison qui
ont précédé la capitulation. Ainsi sera rendue possible une
démocratie qui unisse au contrôle effectif exercé par les
élus du peuple la continuité de l'action gouvernementale.
L'union
des représentants de la Résistance pour l'action dans le présent
et dans l'avenir, dans l'intérêt supérieur de la patrie, doit
être pour tous les Français un gage de confiance et un stimulant.
Elle doit les inciter à éliminer tout esprit de particularisme,
tout ferment de division qui pourrait freiner leur action
et ne servir que l'ennemi.
En
avant donc, dans l'union de tous les Français rassemblés autour
du C.F.L.N. et de son président le général de Gaulle !
En
avant pour le combat, en avant pour la victoire afin que VIVE
LA FRANCE!

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Les
membres du conseil national de la Résistance (C.N.R)
réunis le 10 septembre 1944. Ils ne sont cependant pas
ici au complet puisque sont notamment absents les représentants
de "Combat" et de l'O.C.M. De gauche à droite,
on reconnaît: Robert Chambeiron, Pierre Meunier, Auguste
Gillot, Joseph Laniel, Henri Ribière, Jacques Lecompte-Boinet,
Gaston Tessier, Pierre Villon, Georges Bidault, André
Mutter, Louis Saillant, Pascal Copreau, Paul Bastid,
Daniel Mayer, Jean-Pierre Lévy et Jacques Debû-Bridel...
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LE
CONSEIL NATIONAL DE LA RÉSISTANCE
à
sa création le 27 mai 1943 - 48 rue du Four- Paris
et les modifications successives

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PRÉSIDENT
:
Jean MOULIN (successeurs Georges BIDAULT, démocrates-chrétiens,
puis à la Libération, le 15 septembre 1944, Louis SAILLANT,
CGT).
MEMBRES:
LIBÉRATION-SUD
Pascal COPEAU, suppléé par Pierre HERVE (désigné par son mouvement,
Emmanuel d'ASTIER DE LA VIGERIE, appelé à Alger à l'Assemblée
consultative puis au Gouvernement provisoire, redevint le
titulaire à la Libération).
OCM (Organisation civile et militaire)
Jacques-Henri SIMON, déporté, remplacé par Maxime BLOCQ-MASCART.
COMBAT
Claude BOURDET, déporté, remplacé par Marcel DEGLIAME.
CEUX DE LA RÉSISTANCE (CDLR)
Jacques LECOMPTE-BOINET
FRANC-TIREUR
Claudius PETIT, puis Jean-Pierre LEVY, puis Antoine AVININ.
CEUX DE LA LIBÉRATION (CDLL)
LENORMAND (Coquoin), fusillé, remplacé par André MUTTER.
LIBÉRATION-NORD
Charles LAURENT, appelé à Alger (Assemblée consultative),
il est remplacé par Henri RIBIERE.
FRONT NATIONAL de lutte pour la Libération et l'indépendance
Pierre VILLON.
PARTI RADICAL et RADICAL SOCIALISTE
Marc RUCARD, appelé à Alger (Assemblée consultative), il est
par Paul BASTID.
DÉMOCRATES CHRÉTIENS
Georges BIDAULT, puis André COLIN.
FÉDÉRATION RÉPUBLICAINE et RÉPUBLICAINS NATIONAUX
Jacques DEBU-BRIDEL.
PARTI COMMUNISTE
André MERCIER, appelé à Alger (Assemblée consultative), il
est remplacé par Auguste GILLOT.
ALLIANCE DÉMOCRATIQUE
Joseph LANIEL.
PARTI SOCIALISTE
André LE TROQUER, appelé à Alger (Assemblée consultative),
il est remplacé par Daniel MAYER.
CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL
Louis SAILLANT, puis Benoît FRACHON.
CONFÉDÉRATION FRANÇAISE DES TRAVAILLEURS CHRÉTIENS
Gaston TESSIER.
SECRÉTAIRE
GÉNÉRAL:
Pierre MEUNIER.
SECRÉTAIRE GÉNÉRAL ADJOINT :
Robert CHAMBEIRON.
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