INTERVENTION DU SECRETAIRE GENERAL DE LA FSU

 AU SEMINAIRE MONDIAL SUR

L'EDUCATION - 2 FEVRIER 2002 - PORTO ALEGRE

Le droit à l'éducation comme droit social fondamental


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INTERVENTION DU SECRETAIRE GENERAL DE LA FSU

 AU SEMINAIRE MONDIAL SUR

L'EDUCATION - 2 FEVRIER 2002 - PORTO ALEGRE

Le droit à l'éducation comme droit social fondamental

Dans le cadre de ce séminaire mondial sur l'éducation, nous sommes certainement tous d'accord pour reconnaître le droit à une éducation publique de qualité obligatoire et gratuite pour tous, qui soit accessible tout au long de la vie comme un droit social fondamental dont la réalisation concrète est génératrice de nouveaux droits. La démocratie attend de l'éducation qu'elle dispense une formation de qualité pour tous, qu'elle développe esprit critique, liberté de pensée, qu'elle transmette les valeurs de paix, de justice, de solidarité, et qu'elle soit un moyen essentiel de promouvoir droits de l'homme et libertés fondamentales. Ce droit à l'éducation était déjà inscrit dans la Déclaration des Droits de l'Homme de 1948 à l'article 26 ; c'est pour donner à ce principe plus de chance d'être appliqué qu'on le trouve reformulé dans les articles 13 et 14 du Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1996. Beaucoup d'autres traités internationaux ont été adoptés, traitant directement ou indirectement de l'éducation comme la convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (1979) et la convention relative aux droits de l'enfant (1989).

Pour que la contribution à l'édification d'un monde plus juste dans la perspective d'un développement durable puisse se concrétiser, l'éducation doit être généralisée et rendue accessible à tous en pleine égalité depuis l'éducation initiale de base jusqu'à l'apprentissage tout au long de la vie. Or, il ne faut pas sous-estimer ce qui a été conquis : la reconnaissance de la légitimité de ce droit universel inaliénable.

La Conférence mondiale sur l'éducation pour tous de Jomtien (1990) puis la forum mondial de l'éducation à Dakar (2000) ont amené 180 gouvernements et agences internationales à ratifier les clauses du cadre d'action mettant en œuvre les objectifs suivants :

-          un enseignement de base gratuit et obligatoire pour tous et la réduction de 50 % de l'analphabétisme d'ici 2015 ;

-          l'élimination des disparités entre garçons et filles dans les enseignements primaires et secondaires d'ici 2005 ;

-          l'accroissement des opportunités d'apprentissage pour les adultes et les jeunes et des améliorations de la qualité de tous les aspects de l'éducation.

Engagement a été pris par les Etats d'élaborer des plans nationaux d'ici la fin 2002, associant ONG, syndicats et société civile.

La campagne mondiale pour l'éducation reste vigilante en ce qui concerne la réalisation de l'objectif de l'éducation pour tous (EPT). Aussi propose-t-elle une initiative mondiale visant à créer les conditions pour un dialogue approfondi et transparent entre gouvernements, société civile et donateurs.

Même la Banque Mondiale s'est lancée dans cette campagne pour l'éducation : en effet elle constate que l'éducation est un moyen efficace de lutter contre la pauvreté et un facteur décisif de croissance économique et de développement. Cet aspect est déterminant pour la Banque Mondiale à des fins de préparation au marché du travail, dans la logique de globalisation néolibérale. Notre conception du développement n'est pas celle-ci : elle est axée sur le progrès de la vie et des libertés.

Ce rapide tableau de la situation témoigne donc en faveur d'une apparente convergence de vues au niveau mondial quant à la reconnaissance du droit à l'éducation. Comment se fait-il alors que dans 32 pays (dont 29 sont africains) on sache dès à présent que les objectifs et les plans d'action risquent de ne pas se réaliser d'ici 2015. 156 millions d'enfants sont encore privés d'école. L'article 10 du cadre d'action de la conférence de Dakar serait-il d'ores et déjà

bafoué ? Article selon lequel : "aucun pays qui a pris un engagement sérieux en faveur de l'éducation de base ne verra ses efforts contrariés par le manque de ressources".

Quelles contradictions, quels blocages rencontre dans sa réalisation concrète, le droit à l'éducation pour tous ? La question de l'application de ce droit est liée à celle de son interprétation :

-          droit à quelle éducation ?

-          qui doit assurer cette éducation ?

-          éducation dispensée à quel moment de la vie ?

-          quelle gratuité ? Concerne-t-elle les droits d'inscription, le matériel scolaire, ou les deux ?

Or, il faut bien reconnaître que cette interprétation se fait en général a minima, les budgets des états n'étant pas à la hauteur des objectifs proclamés (la plupart des pays consacrent environ 2 % du PIB à l'éducation).

L'économie néo-libérale renforce les inégalités entre Nord et Sud. D'autre part les injonctions du FMI et de la Banque Mondiale visant à privatiser, libéraliser et déréguler conduisent à un désinvestissement des Etats, à l'affaiblissement des services publics et à la mise en place de plans d'ajustement structurel. Pour l'enseignement supérieur et professionnel, la Banque Mondiale laisse les pays "se débrouiller". Or le recours à la privatisation de l'éducation bafoue le droit à l'éducation qui a comme corollaire l'égalité d'accès. Les créations de postes d'enseignants et de personnels de l'éducation correctement formés et rémunérés diminuent de plus en plus, avec en contrepartie le recours à des para-enseignants sous qualifiés, contribuant à instaurer une éducation bon marché de 2e rang.

Même si certains Etats s'efforcent de scolariser un grand nombre d'enfants (Mauritanie, Ouganda, Zambie), le quantitatif ne suffit pas. Il doit être accompagné d'un effort en matière de qualité de l'enseignement dispensé : c'est l'acquisition de connaissances et de compétences qui forme un individu. Encore faut-il qu'il trouve un emploi correspondant à sa formation et à la qualification à l'issue de sa scolarité. A quand les créations d'emploi à la hauteur des besoins économiques, sociaux et culturels d'un pays ? Or les investissements des pays extérieurs soit se font rares soit se font au détriment des pays d'accueil. Et les personnes formées vont monnayer leurs compétences à l'étranger faute d'emploi et de rémunération à la hauteur de leur qualification dans leur propre pays.

Enfin les NTIC, qui devraient être un facteur de démocratisation de l'enseignement, tendent à renforcer les inégalités entre les quelques privilégiés qui y ont accès et tous les autres, favorisant la fuite des cerveaux vers les pays riches.

Afin d'assurer une éducation de qualité pour tous tout au long de la vie, il faut un financement de l'éducation publique d'au moins 6 % du PIB, ce qui peut se réaliser :

-          par la fin des plans d'ajustements structurels et de leurs substituts

-          par l'adoption d'une taxe sur les transactions financières

-          par l'annulation de la dette extérieure de nombreux pays, l'utilisation des fonds dégagés pour l'éducation et le contrôle de l'usage de ces fonds

-          par une augmentation de l'aide internationale au développement qui devrait atteindre

0,7 % du PIB.

-          par l'élimination progressive mais définitive du travail des enfants

Exigeons aussi que les services d'éducation, de culture et de santé ne soient pas traités comme des produits commercialisables (aujourd'hui l'éducation représente un marché de mille milliards de dollars !). En tant que services publics ils ne devraient pas être soumis à la loi du marché mais devraient être encadrés par les Etats qui assurent une fourniture juste de tels services pour tous : disposer de ces services fait partie des droits humains essentiels : il faut imposer une exclusion totale de l'éducation du cadre d'application de l'AGCS.

Toutes ces mesures permettraient de créer suffisamment d'écoles, de les entretenir, de les fournir en matériel suffisant, de créer suffisamment de postes d'enseignants et de personnel d'éducation qualifiés et justement rémunérés, gage d'une éducation de qualité vraiment formatrice. L'école doit aider à l'intégration tout en reconnaissant la diversité culturelle, elle doit veiller à l'égalité entre garçons et filles et doit être capable d'être en prise directe avec le milieu, de façon à ce que les familles reconnaissent plus aisément le besoin d 'école pour leurs enfants. Elle doit recevoir les moyens de développer égalitairement l'accès aux NTIC.

Exigeons des gouvernements qu'ils rédigent des plans d'action nationaux à partir d'un processus vraiment participatif, représentatif et transparent conformément aux promesses faites à Dakar, afin de réussir l'EPT d'ici 2015.

Favorisons partout des mouvements citoyens veillant à la mise en œuvre de ces plans en collaboration avec toutes les initiatives prises en ce sens, afin d'améliorer l'accessibilité aux différents niveaux d'éducation, de réduction des inégalités et de financement équitable.

Luttons contre une conception purement marchande de l'éducation telle qu'elle est développée par la Banque Mondiale et l'Organisation Mondiale du Commerce.

Nous, syndicats d'enseignants et de personnels de l'éducation, ONG, composantes de la société civile, profitons de ce rendez-vous exceptionnel pour mettre en synergie nos forces et nos idées. Les gouvernements doivent élargir l'accès à l'éducation préscolaire et aux services de la petite enfance, offrir une éducation de base obligatoire d'au moins 9 ans. Il y a nécessité d'un enseignement supérieur public gratuit et de qualité, et d'un secteur de recherche au service du développement de la société. Trouvons des moyens efficaces de mobiliser et d'agir pour faire pression sur les organismes internationaux et sur les gouvernements, afin de faire passer dans les faits, de concrétiser ce bel objectif qu'est le droit à l'éducation pour tous, droit inaliénable comme tous les autres droits énoncés dans la Déclaration de 1948.