Dans
le cadre de ce séminaire mondial sur l'éducation, nous sommes
certainement tous d'accord pour reconnaître le droit à une éducation
publique de qualité obligatoire et gratuite pour tous, qui soit
accessible tout au long de la vie comme un droit social fondamental
dont la réalisation concrète est génératrice de nouveaux droits.
La démocratie attend de l'éducation qu'elle dispense une formation
de qualité pour tous, qu'elle développe esprit critique, liberté
de pensée, qu'elle transmette les valeurs de paix, de justice,
de solidarité, et qu'elle soit un moyen essentiel de promouvoir
droits de l'homme et libertés fondamentales. Ce droit à l'éducation
était déjà inscrit dans la Déclaration des Droits de l'Homme de
1948 à l'article 26 ; c'est pour donner à ce principe plus de
chance d'être appliqué qu'on le trouve reformulé dans les articles
13 et 14 du Pacte International relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels de 1996. Beaucoup d'autres traités internationaux
ont été adoptés, traitant directement ou indirectement de l'éducation
comme la convention sur l'élimination de toutes les formes
de discrimination à l'égard des femmes (1979) et la convention
relative aux droits de l'enfant (1989).
Pour
que la contribution à l'édification d'un monde plus juste dans
la perspective d'un développement durable puisse se concrétiser,
l'éducation doit être généralisée et rendue accessible à tous
en pleine égalité depuis l'éducation initiale de base jusqu'à
l'apprentissage tout au long de la vie. Or, il ne faut pas sous-estimer
ce qui a été conquis : la reconnaissance de la légitimité de ce
droit universel inaliénable.
La
Conférence mondiale sur l'éducation pour tous de Jomtien (1990)
puis la forum mondial de l'éducation à Dakar (2000) ont amené
180 gouvernements et agences internationales à ratifier les clauses
du cadre d'action mettant en œuvre les objectifs suivants :
-
un enseignement
de base gratuit et obligatoire pour tous et la réduction de 50
% de l'analphabétisme d'ici 2015 ;
-
l'élimination
des disparités entre garçons et filles dans les enseignements
primaires et secondaires d'ici 2005 ;
-
l'accroissement
des opportunités d'apprentissage pour les adultes et les jeunes
et des améliorations de la qualité de tous les aspects de l'éducation.
Engagement
a été pris par les Etats d'élaborer des plans nationaux d'ici
la fin 2002, associant ONG, syndicats et société civile.
La
campagne mondiale pour l'éducation reste vigilante en ce qui concerne
la réalisation de l'objectif de l'éducation pour tous (EPT). Aussi
propose-t-elle une initiative mondiale visant à créer les conditions
pour un dialogue approfondi et transparent entre gouvernements,
société civile et donateurs.
Même
la Banque Mondiale s'est lancée dans cette campagne pour l'éducation
: en effet elle constate que l'éducation est un moyen efficace
de lutter contre la pauvreté et un facteur décisif de croissance
économique et de développement. Cet aspect est déterminant pour
la Banque Mondiale à des fins de préparation au marché du travail,
dans la logique de globalisation néolibérale. Notre conception
du développement n'est pas celle-ci : elle est axée sur le progrès
de la vie et des libertés.
Ce
rapide tableau de la situation témoigne donc en faveur d'une apparente
convergence de vues au niveau mondial quant à la reconnaissance
du droit à l'éducation. Comment se fait-il alors que dans 32 pays
(dont 29 sont africains) on sache dès à présent que les objectifs
et les plans d'action risquent de ne pas se réaliser d'ici 2015.
156 millions d'enfants sont encore privés d'école. L'article 10
du cadre d'action de la conférence de Dakar serait-il d'ores et
déjà
bafoué
? Article selon lequel : "aucun pays qui a pris un engagement
sérieux en faveur de l'éducation de base ne verra ses efforts
contrariés par le manque de ressources".
Quelles
contradictions, quels blocages rencontre dans sa réalisation concrète,
le droit à l'éducation pour tous ? La question de l'application
de ce droit est liée à celle de son interprétation :
-
droit
à quelle éducation ?
-
qui doit
assurer cette éducation ?
-
éducation
dispensée à quel moment de la vie ?
-
quelle
gratuité ? Concerne-t-elle les droits d'inscription, le matériel
scolaire, ou les deux ?
Or,
il faut bien reconnaître que cette interprétation se fait en général
a minima, les budgets des états n'étant pas à la hauteur des objectifs
proclamés (la plupart des pays consacrent environ 2 % du PIB à
l'éducation).
L'économie
néo-libérale renforce les inégalités entre Nord et Sud. D'autre
part les injonctions du FMI et de la Banque Mondiale visant à
privatiser, libéraliser et déréguler conduisent à un désinvestissement
des Etats, à l'affaiblissement des services publics et à la mise
en place de plans d'ajustement structurel. Pour l'enseignement
supérieur et professionnel, la Banque Mondiale laisse les pays
"se débrouiller". Or le recours à la privatisation de l'éducation
bafoue le droit à l'éducation qui a comme corollaire l'égalité
d'accès. Les créations de postes d'enseignants et de personnels
de l'éducation correctement formés et rémunérés diminuent de plus
en plus, avec en contrepartie le recours à des para-enseignants
sous qualifiés, contribuant à instaurer une éducation bon marché
de 2e rang.
Même
si certains Etats s'efforcent de scolariser un grand nombre d'enfants
(Mauritanie, Ouganda, Zambie), le quantitatif ne suffit pas. Il
doit être accompagné d'un effort en matière de qualité de l'enseignement
dispensé : c'est l'acquisition de connaissances et de compétences
qui forme un individu. Encore faut-il qu'il trouve un emploi correspondant
à sa formation et à la qualification à l'issue de sa scolarité.
A quand les créations d'emploi à la hauteur des besoins économiques,
sociaux et culturels d'un pays ? Or les investissements des pays
extérieurs soit se font rares soit se font au détriment des pays
d'accueil. Et les personnes formées vont monnayer leurs compétences
à l'étranger faute d'emploi et de rémunération à la hauteur de
leur qualification dans leur propre pays.
Enfin
les NTIC, qui devraient être un facteur de démocratisation de
l'enseignement, tendent à renforcer les inégalités entre les quelques
privilégiés qui y ont accès et tous les autres, favorisant la
fuite des cerveaux vers les pays riches.
Afin
d'assurer une éducation de qualité pour tous tout au long de la
vie, il faut un financement de l'éducation publique d'au moins
6 % du PIB, ce qui peut se réaliser :
-
par la
fin des plans d'ajustements structurels et de leurs substituts
-
par l'adoption
d'une taxe sur les transactions financières
-
par l'annulation
de la dette extérieure de nombreux pays, l'utilisation des fonds
dégagés pour l'éducation et le contrôle de l'usage de ces fonds
-
par une
augmentation de l'aide internationale au développement qui devrait
atteindre
0,7 % du PIB.
-
par l'élimination
progressive mais définitive du travail des enfants
Exigeons
aussi que les services d'éducation, de culture et de santé ne
soient pas traités comme des produits commercialisables (aujourd'hui
l'éducation représente un marché de mille milliards de dollars
!). En tant que services publics ils ne devraient pas être soumis
à la loi du marché mais devraient être encadrés par les Etats
qui assurent une fourniture juste de tels services pour tous :
disposer de ces services fait partie des droits humains essentiels
: il faut imposer une exclusion totale de l'éducation du cadre
d'application de l'AGCS.
Toutes
ces mesures permettraient de créer suffisamment d'écoles, de les
entretenir, de les fournir en matériel suffisant, de créer suffisamment
de postes d'enseignants et de personnel d'éducation qualifiés
et justement rémunérés, gage d'une éducation de qualité vraiment
formatrice. L'école doit aider à l'intégration tout en reconnaissant
la diversité culturelle, elle doit veiller à l'égalité entre garçons
et filles et doit être capable d'être en prise directe avec le
milieu, de façon à ce que les familles reconnaissent plus aisément
le besoin d 'école pour leurs enfants. Elle doit recevoir les
moyens de développer égalitairement l'accès aux NTIC.
Exigeons
des gouvernements qu'ils rédigent des plans d'action nationaux
à partir d'un processus vraiment participatif, représentatif et
transparent conformément aux promesses faites à Dakar, afin de
réussir l'EPT d'ici 2015.
Favorisons
partout des mouvements citoyens veillant à la mise en œuvre de
ces plans en collaboration avec toutes les initiatives prises
en ce sens, afin d'améliorer l'accessibilité aux différents niveaux
d'éducation, de réduction des inégalités et de financement équitable.
Luttons
contre une conception purement marchande de l'éducation telle
qu'elle est développée par la Banque Mondiale et l'Organisation
Mondiale du Commerce.
Nous,
syndicats d'enseignants et de personnels de l'éducation, ONG,
composantes de la société civile, profitons de ce rendez-vous
exceptionnel pour mettre en synergie nos forces et nos idées.
Les gouvernements doivent élargir l'accès à l'éducation préscolaire
et aux services de la petite enfance, offrir une éducation de
base obligatoire d'au moins 9 ans. Il y a nécessité d'un enseignement
supérieur public gratuit et de qualité, et d'un secteur de recherche
au service du développement de la société. Trouvons des moyens
efficaces de mobiliser et d'agir pour faire pression sur les organismes
internationaux et sur les gouvernements, afin de faire passer
dans les faits, de concrétiser ce bel objectif qu'est le droit
à l'éducation pour tous, droit inaliénable comme tous les autres
droits énoncés dans la Déclaration de 1948.