SANTE.
Le
nouveau scandale de l'amiante |
Un
livre qui sort aujourd'hui annonce cent mille décès
provoqués par l'amiante dans les vingt prochaines années.
Désamiantage non fait, manque de contrôles, instructions
au point mort : la France accuse du retard dans la lutte
contre ce fléau.
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C'est
une bombe à retardement, qui va exploser. Le nombre de décès
provoqués par l'amiante, sous forme de cancers de la plèvre,
appelés mésothéliomes, ou de cancers du poumons, va être de
100 000 en France au cours des vingt prochaines années. Ce
chiffre impressionnant est révélé par le professeur Marcel
Goldberg, de l'Inserm. « On est devant une catastrophe de santé
publique, dont on a sous-estimé l'ampleur », affirme-t-il. C'est
également la thèse d'un livre très documenté sur le sujet, qui
paraît aujourd'hui, écrit par François Malye, grand reporter au
Point *. Ce drame, que certains croyaient terminé, est en fait en
train de rebondir. « Aujourd'hui, on voit apparaître des cas de
mésothéliome chez des enseignants, des peintres, ou des
musiciens d'opéra. C'est la troisième vague de la maladie. On va
en voir de plus en plus. Le scandale ne pourra plus être caché
», estime François Malye.
Sur le plan pénal, aucune plainte n'a pour l'instant abouti
Dans un premier temps, les cancers de la plèvre provoqués par
l'amiante avaient frappé les ouvriers travaillant dans les usines
qui fabriquaient de l'amiante, notamment dans les filiales du
groupe Saint-Gobain Eternit et Everit. Dans la seule ville de
Thiant, dans le Nord-Pas-de-Calais, 300 personnes travaillant chez
Everit ont été frappées par un cancer lié à l'amiante.
Maintenant la pathologie s'étend à des ouvriers travaillant dans
l'aciérie, où l'amiante était présente (lire ci-dessous) .
Cette contamination s'explique pour deux raisons. L'emploi massif
de la fibre, tout d'abord, pendant les années soixante et
soixante-dix. « Enormément de personnes ont été exposées, car
on employait ce matériau presque partout. Il est logique de voir
trente ans plus tard apparaître les tumeurs », explique François
Desriaux, président de l'Andeva, l'Association nationale des
victimes de l'amiante. Depuis l'interdiction totale d'emploi de la
fibre le 1 e r juillet 1997, les observateurs se félicitent :
personne ne peut acheter d'appartement sans obtenir de certificat
d'absence d'amiante. Mais ce sont les contrôles qui sont défaillants
: « 76 % des chantiers de déflocage visités ne respectent pas
les points de la réglementation », affirme une étude de
l'Institut national de la recherche et de la sécurité qui parle
de « graves irrégularités constatées ». Et lorsque les
chantiers sont bien faits, ils s'éternisent. « Le cas le plus
emblématique est celui de la faculté de Jussieu, mine d'amiante
en plein Paris, qui n'est qu'à moitié désamiantée, alors que
tout devait être terminé pour 2002 », regrette Michel parigot,
président du comité anti-amiante (lire ci-contre) . « Ce
qui marche, c'est l'indemnisation des victimes. Suite à des
milliers de plaintes déposées pour « faute inexcusable », le
Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) a versé à
6 240 victimes 270 millions d'euros » constate François Desriaux,
président de l'Association nationale des victimes de l'amiante.
Mais sur le plan pénal, aucune plainte n'a pour l'instant abouti.
A Paris, la juge Marie-Odile Bertella-Geoffroy instruit le volet
« Jussieu », où sept personnes sont décédées des suites d'un
mésothéliome. L'analyse des scellés à la suite de la
perquisition menée il y a un an, est en cours. De son instruction
pourrait sortir le premier procès au pénal de l'amiante en
France.
(*)
« Amiante : 100 000 morts à venir ». Editions le Cherche-Midi,
17 €.
Marc
Payet
Le
Parisien , jeudi 21 octobre 2004
Et
maintenant Sciences-po... |
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L'organisation
des cours à l'Institut d'études politiques de Paris est en ce
moment perturbé. En cause : la découverte d'amiante, le 20
juillet dernier, à l'occasion de travaux réalisés dans
l'amphithéâtre Chapsal. Depuis, cette grande salle de cours de
300 places est interdite d'accès aux étudiants, qui suivent désormais
les cours... au cinéma l'Arlequin. « Comme la loi nous y
invitait, nous avons fait des expertises. La présence d'amiante
a été détectée dès le début des travaux. Tout a alors été
immédiatement arrêté », explique Nadia Maryk, adjointe à la
directrice de Sciences-po. Le 10 septembre dernier, une lettre a
été envoyée à tous les salariés pour les mettre au courant
de la situation, et des panneaux d'affichage ont été posés
pour prévenir les étudiants. La direction a prévenu
l'inspection du travail, et a décidé de lancer une procédure
judiciaire pour comprendre l'origine de cette présence
d'amiante. « La fibre était contenue dans des panneaux
d'isolation phonique, et n'était pas à l'air libre. Cela n'a
pas eu d'incidence sur la santé des élèves », ajoute Nadia
Maryk. Les mesures effectuées dans les autres locaux de l'établissement
« ne décèlent pas de présence d'amiante », ajoute-t-elle.
L'amphi est donc bâché et interdit d'accès jusqu'à l'été
prochain, période où commenceront les travaux, « en fonction
des résultats des expertises». Certains élèves
s'interrogent, comme Jean-Baptiste, en troisième année à
l'IEP, qui s'avoue « un peu inquiet » mais « fait confiance
à l'administration qui a communiqué sur le sujet ». Personne
n'imagine que le drame de Jussieu puisse arriver rue des
Saints-Pères. Dans le V e , les 240 000 m 2 de locaux amiantés
ont fait de l'immense tour le plus grand bâtiment floqué au
monde! Avec des drames à la clef.
Ce
problème touche toute l'Éducation nationale
Sept décès ont été enregistrés par mésothéliome (cancer
de la plèvre directement provoqué par l'amiante), dont cinq en
2002 et 2003 parmi les enseignants, les chercheurs, et les ingénieurs
de laboratoire. Parmi ceux-ci, Jean Louis Cheminée,
vulcanologue, chercheur au CNRS, décédé par mésothéliome le
16 octobre 2003, alors qu'il travaillait à Jussieu depuis les
années1960. Cent neuf personnes de la faculté souffrent
actuellement de maladies professionnelles liées à l'exposition
à la fibre. Michel Parigot, le responsable du comité
antiamiante, tire la sonnette d'alarme. « On n'est qu'au début
de la période de survenue des mésothéliomes, car ils
n'apparaissent que trente-cinq ans après l'exposition, et le
campus a été construit entre 1965 et 1972. Il y a donc urgence
à accélérer le chantier de désamiantage. Seule la moitié du
campus est désamiantée, cela fait quinze ans que les travaux
sont engagés, c'est plus long que la reconstruction de la
France d'après-guerre », regrette-t-il. Le problème de
l'amiante concerne, à des niveaux différents, toute l'Education
nationale. Au cours des années 1960 et 1970, de nombreuses écoles,
lycées, et universités, ont été construites en utilisant de
l'amiante pour éviter le risque d'incendie. Selon une enquête
de la direction des personnels, de la modernisation et de
l'administration du ministère de l'Education nationale, «
entre 11 et 20 % » des personnels ont été exposés à
l'amiante. Etre exposé à l'amiante signifie que le risque de développement
d'un cancer est supérieur à la moyenne, sans que le sombre
pronostic soit sûr. A Paris, en 2003, l'émotion avait été
grande chez les parents d'élèves, lorsqu'ils avaient appris le
décès d'une enseignante de l'école primaire de la rue
Tlemcen, dans le XX e arrondissement, par mésothéliome. Le
retard pris dans le chantier de désamiantage les avait même
incités à fermer eux-mêmes l'école. Aujourd'hui, la tension
est apaisée dans l'école et les travaux sont finis. Un exemple
à suivre.
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