MAIF
infos : Quelle est la place de l’enfant
aujourd’hui dans la cellule familiale ?
Marcel Rufo : Les spécialistes
du bébé ont transformé l’attitude des
parents. Les parents croient actuellement
qu’il est plus important de comprendre que
d’éduquer. Or, à force de chercher à
trop comprendre, la tolérance a un effet
pervers ; celui de faire naître l'intolérance
chez celui à qui on a offert trop de
laxisme. À l’adolescence, les jeunes sont
d’autant plus casse-pieds qu’ils ont été
trop écoutés lorsqu’ils étaient petits.
Les parents disent souvent avec regret :
“Qu’est-ce qu’il était agréable
lorsqu’il était petit."
Notre
société, en idéalisant l’enfant,
n’a-t-elle pas tendance à diaboliser
l'adolescent ?
MR : En effet, et pourtant
l’ado n’est pas différent d’avant. Il
est dans son rôle, provocateur, discutant,
remettant en cause les structures parentales
de la société. L’être humain fonctionne
par des moments de crises et celle de
l’adolescence est incontournable, il faut
faire attention à bien la gérer pour
offrir au jeune un avenir à la sortie de
cette période. Ce n’est pas parce qu’un
ado fait un tas de bêtises qu’il ne va
pas avoir une belle vie.
Où
se situe la limite de la tendresse ?
MR : La tendresse ne doit pas être
exhibitionniste, elle doit être pudique. Il
y a des tendresses exhibitionnistes qui sont
de l’érotisation. Aller voir son enfant
qui dort ne nécessite pas forcément de lui
faire un bisou. Il dort bien, a l’air
rassuré avec son doudou, pas besoin de
poser ses lèvres sur son front, c’est
quelque chose en trop. Je viens de finir un
bouquin où je commence par l’histoire de
mon père qui était quelqu’un de pudique.
Il ne m’a jamais manifesté sa tendresse,
et pourtant, je suis persuadé de la force
de ses sentiments. Ma mère était beaucoup
plus démonstrative. Je suis moins
convaincu, avec du recul, de la qualité de
sa tendresse excessive que de la réserve
pudique de mon père.
Faut-il
tout dire à son enfant ?
MR : Ne pensez-vous pas qu’on
se soigne aujourd’hui avec son enfant ?
Nous voudrions tellement qu’il ait
l’enfance parfaite que l’on n’a pas
eue que nous projetons sur lui des bêtises
qui viennent de notre propre enfance. Une
fois que l’on a compris que notre enfant
n’est pas notre thérapeute, on lui parle
un peu moins et on le respecte un peu plus.
Dire à son enfant qu’il est né par fécondation
in vitro, que son oncle est homosexuel, cela
n’a aucun intérêt. Il le découvrira
tout seul, sans être affecté par une découverte
qui pourrait le gêner dans son développement
sexuel. Les enfants sont des chercheurs de
secrets, une fois qu’ils les ont découverts,
ils les gardent pour eux.
À quel stade
comportemental peut on justifier l’entrée
d’un jeune en psychothérapie ?
MR : Un ado qui bougonne, on
s’en fiche. Mais si en plus, il présente
des troubles du sommeil, refuse d’aller au
collège, s’il a des conduites à risques
et une image de lui négative, là il faut
agir. Il n’y a pas un signe, mais un
faisceau de signes.
Pensez-vous,
comme certains psychiatres que tout se joue
avant 6 ans ?
MR : La petite enfance est une
merveilleuse période de développement. Le
langage, l’affectivité, la motricité,
s’organisent entre 2 et 3 ans. Mais tout
se joue toujours, l’enfance ne se termine
jamais. Vous vous rendez compte comme
c’est terrible de dire à des parents,
“tout se joue avant 6 ans!” Un enfant
qui a fait une mauvaise scolarité dans le
primaire garde toutes ses chances dans le
secondaire.
Vos plus jeunes
patients sont âgés de quelques semaines,
comment intervenez-vous auprès de ces
nourrissons ?
MR : Nous travaillons avec les
parents, le nourrisson présent. L’enfant
n’existe pas sans ses parents. Le
nourrisson est un personnage immédiatement
actif dans la cellule familiale. Mais,
contrairement aux idées reçues, le bébé
n’est pas une personne, il est en train de
le devenir. C’est un récepteur, émetteur
d’une qualité extraordinaire. Un bébé
dont la mère est déprimée va être plus réceptif
qu’un nourrisson dont la mère va bien.
Les parents qui vont mieux auront un bébé
présentant moins de troubles du sommeil,
moins de manifestations cutanées.
Est-ce
une erreur que de dormir avec son enfant ?
MR : On fait ce que l’on peut
avec un enfant qui a des troubles du
sommeil. Dormir avec un petit qui a peur,
c’est normal. Mais il ne faut pas tomber
dans la chronicité. Winnicott disait “Un
enfant saisi sous un gros orage, la nuit,
dans les rues de Londres et qui n’aurait
pas peur, n’est pas un enfant sain."
Il a raison.
Est-ce une
chance d’avoir une fratrie ?
MR : C’est bien d’avoir des
frères et sœurs parce que cela permet de
garder des souvenirs d’enfance en commun.
Une étoile filante vue ensemble, une chute
de neige à Noël, c’est irremplaçable.
Maintenant, le biologique fraternel
n’implique pas forcément la bonne
relation. Ce n’est pas avec les gènes que
l’on fait la famille. Les ressemblances
n’impliquent pas l’amour.
En tant que fils unique, j’ai rêvé,
j’ai mis en scène des frères et sœurs
hypothétiques, j’ai sublimé un frère
que je n’aurai jamais. Le conseil que je
donne aux enfants uniques, c’est d’avoir
un ami.
Quelle
attitude adopter avec un enfant dit précoce
?
MR : Il faut faire attention à
la tendance actuelle qui tend à généraliser
la précocité.
“Il a douze ans, il ne sait pas lire, il
est instable à l’école, est-ce que cet
enfant ne serait pas précoce?” Dès
qu’un enfant dévie, il est possiblement
précoce. Certes, il existe véritablement
des enfants plus intelligents que
d’autres, qui accèdent à la connaissance
plus rapidement. La qualité de ces enfants
est de s’adapter à l’école, aux
enseignants et non pas de se mettre en
difficultés. Ce qui compte, ce n’est pas
leur précocité, mais le risque de désadaptation.
Car en effet, quel est le danger d’être
un bon élève ?
Il est préférable de ne pas stigmatiser
l’enfant précoce comme un être
singulier. L’enfant précoce va être dans
l’obligation de tout réussir. Il est
moins que certain qu’avec de bons moyens
intellectuels, on réussisse tout. Je
connais bon nombre d’enfants très
intelligents qui ont échoué. La précocité
stigmatise l’enfant. Je penche pour
qu’on le laisse dans sa tranche d’âge.
Qu’il fasse en dehors de l’école, des
activités extrascolaires, de la musique,
des échecs, du sport, du théâtre... ce
qu’il a envie de faire. La précocité est
un concept risqué, les parents ont peur
d’avoir un enfant précoce. Avoir un
enfant plus intelligent que soi, c’est un
problème majeur.
Donne-t-on aux
enseignants les moyens de jouer un rôle
dans le développement de l’enfant ?
MR : Tant
que les enseignants auront 25 enfants par
classe, ils ne pourront rien faire. Par
exemple, si l’on s 'intéresse à la
scolarité précoce des petits à 2 ans, il
faut une puéricultrice, un éducateur et un
enseignant pour 10 enfants. Dans ces
conditions, l’école peut remplir son rôle
de prépa de maternelle, un peu comme les prépas
aux grandes écoles. Si l’école devient
un lieu de gratuité par rapport aux crèches,
alors, je dis non. Ne donnons pas à l’Éducation
nationale une mission qui n’est pas la
sienne. Le problème est encore plus
sensible au collège. La notion de collège
unique se discute. Il faut un collège
prolongé pour tous, afin de faire récupérer
le plus possible les prérequis que les
enfants n’ont pas eus dans le primaire.
L’hétérogénéité des classes doit
permettre à l’enfant d’avoir confiance
en son avenir. Devenir un super boulanger,
c’est aussi bien que de devenir un super
énarque. Retrouver du narcissisme dans la
beauté des métiers, ça me paraît
somptueux. Mais il faudra que
philosophiquement les enseignants fassent un
pas dans ce sens.
Je suis un fan de l’école, j’ai été
sauvé par l’école. Issu d’un milieu
ultra modeste et sympa, mes parents étaient
marchands des quatre saisons. L’école
m’a permis d’arriver à la connaissance.
La
MAIF organise des colloques sur le thème de
l’intégration scolaire du jeune handicapé.
Que vous inspire cette initiative ?
MR : C’est génial. Je trouve
très intéressant le courant actuel qui
consiste à intégrer des enfants handicapés
au sein de la cité, de l’école. Discuter
du handicap, c’est une preuve
extraordinaire que la peur, la honte du
handicap reculent. J’espère que les
enfants qui sont en classe avec des petits
handicapés seront moins “couillons” que
nous et qu’ils auront compris ce qu’est
la différence. L’intégration a aussi ses
limites, je trouve également intéressant
de scolariser un enfant moins adaptable, par
exemple à temps partiel, avec un institut médicospécialisé.
Quelle
est votre recette pour être un bon pédopsychiatre
?
MR : Il faut garder une névrose
infantile active. Qu’est-ce qui nous protège
de notre dépression ultérieure ? Garder
une âme d’enfant et des souvenirs
d’enfance. Pédopsychiatre, c’est un métier
super, car comme diraient les ados “T’es
jamais fini”. Je vais vous raconter une
histoire : l’autre jour, une maman arrive
à ma consultation avec son bébé qui a des
troubles du sommeil. Elle me raconte que son
mari est malade. Elle est séparée de lui
et, depuis, son petit garçon dort avec
elle. Je lui explique qu’il ne faut pas
qu’elle tombe dans le piège que ce gosse
lui tend, de remplacer le père disparu.
Elle comprend bien. “Vous vous souvenez de
moi ?” me demande t-elle à la fin de la
consultation. “Béatrice B.” Je me la
rappelle en effet très bien, c’était une
de mes patientes à son adolescence. “Je
peux vous dire quelque chose, monsieur,
c’est que vous avez fait beaucoup de progrès
en pédopsychiatrie.” Voilà comment on
devient psychiatre, en faisant un tas de bêtises.
Il ne faut pas avoir peur ni de ses patients
ni de soi. Il faut se dégager de ça pour
être en situation d’écoute, de
bienveillance, d'empathie. La clé est
d’avoir également à l’esprit que le
psy sert, quand il ne sert plus. Et puis, en
traduisant Winnicott* en marseillais, on
peut faire une carrière...
* Donald W. Winnicott (1896-1971) : Pédiatre
et psychanalyste britannique, a apporté à
la psychanalyse une bouffée d’air pur là
où la pratique clinique particulière fait
souvent perdre de vue les réalités
quotidiennes de la vie.
Pour en savoir plus
• Si bébé pouvait
parler, Rufo Cohen, Nathan
1989
• Comprendre
l’adolescence, Hachette
1999
• Œdipe toi même, Hachette
2000
• Frères et sœurs, une
maladie d’amour, Fayard
2002
• Tout ce que vous ne
voudriez jamais savoir sur
la sexualité de vos
enfants,
Anne Carrière, octobre
2003
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