Scolarisation précoce en France : quels bénéfices pour les élèves ?

Bruno Suchaut
Chercheur et maître de conférences à l’Université de Bourgogne (IREDU-CNRS) à Dijon

 

 

 


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Scolarisation précoce en France : quels bénéfices pour les élèves ?

La scolarisation maternelle précoce suscite en France un débat permanent et même parfois polémique entre les acteurs du système éducatif, débat qui mérite d’être éclairé par des études qui permettent d’isoler de façon nette les aspects positifs et négatifs liés la fréquentation de l’école maternelle dès l’âge de 2 ans. Rappelons que si la quasi-totalité des enfants fréquentent l’école maternelle, c’est seulement le cas de 35% des enfants de 2 ans. On peut, de façon schématique, considérer plusieurs aspects de la question, chacun d’entre eux se rapportant à des courants de recherche différents.

Une première dimension est de nature économique et sociale. On s’interroge alors sur le service que fournit l’école aux parents avec la prise en charge des jeunes enfants, l’école maternelle étant à cet égard considérée comme un mode de garde particulier. Il peut alors être intéressant de savoir si certains milieux sociaux utilisent plus que d’autres cette structure d’accueil. Une seconde dimension est de nature psychologique; on s’interroge alors sur les conditions d’accueil de l’école maternelle compte tenu des caractéristiques biologiques et psycho-sociales des enfants de 2 ans. Une troisième dimension se centre sur les effets pédagogiques de la scolarisation maternelle précoce en évaluant les bénéfices éventuels que peuvent tirer les enfants d’un point de vue des acquis cognitifs et scolaires au cours de l’école primaire. Sur ce dernier point, des études françaises permettent de dégager quelques résultats utiles du point de vue pédagogique, mais aussi et plus largement en matière de politique éducative.


Effets de la préscolarisation à la maternelle

Dans beaucoup d’études qui se centrent sur l’identification des facteurs de réussite scolaire, la fréquentation de l’école maternelle est souvent intégrée aux analyses comme variable explicative. Les résultats sont sur ce point assez concordants: la maternelle procure un avantage pour la suite de la scolarité, tant sur le plan des acquisitions, qu’en termes de carrière scolaire en réduisant la probabilité de redoubler une classe, et notamment le Cours préparatoire; les effets de la préscolarisation étant d’autant plus positifs que la scolarisation en maternelle a été longue, il n’existe toutefois pas de relation de proportionnalité entre le nombre d’années de maternelle et l’impact sur la scolarité.

Quand on compare la scolarité élémentaire des enfants ayant fréquenté l’école maternelle à l’âge de 2 ans à celle d’autres élèves qui n’ont été scolarisés qu’à l’âge de 3 ans, plusieurs constats peuvent être faits sur la base de deux recherches conduites à plusieurs années d’intervalle et utilisant une méthodologie semblable (analyses permettant de raisonner «toutes choses égales par ailleurs»). La première recherche effectuée au début des années 901 relève un impact positif sur les acquisitions scolaires des élèves mesurées par des tests standardisés en français et en mathématiques. Cette même recherche met en évidence le caractère durable de ces effets puisqu’ils sont encore visibles jusqu’à la fin de l’école primaire. Plus récemment, une recherche conduite par le Ministère de l’éducation nationale à partir d’un large panel d’élèves2 établit des conclusions également positives quant à la scolarisation précoce. Les enfants entrés à l’école maternelle à l’âge de 2 ans présentent un risque de redoubler l’école primaire légèrement inférieur à celui des enfants scolarisés plus tardivement (à l’âge de 3 ans).


Inégalités sociales de réussite

Au-delà des effets moyens de la scolarisation précoce sur les acquisitions et les carrières des élèves, ces deux recherches ont abordé un angle plus social, la question étant de savoir si la scolarisation précoce n’était pas plus profitable à certaines populations (les enfants issus de milieux sociaux défavorisés notamment) qu’à d’autres. Cette question a d’ailleurs été une préoccupation institutionnelle puisque la scolarisation maternelle à 2 ans a été encouragée pour les populations socialement défavorisées ces dernières années (le taux de scolarisation moyen à 2 ans est de 40% dans les ZEP). Dans la première étude, aucune interaction significative entre le milieu social et la scolarisation à l’âge de 2 ans n’a pu être établie: l’effet positif sur les acquisitions des élèves étant relevé avec la même intensité pour toutes les catégories sociales. Dans la seconde étude, les résultats indiquent qu’en termes de carrière scolaire, ce sont les enfants de cadres et les élèves étrangers ou issus de l’immigration qui semblent tirer le plus grand bénéfice de cette mesure.

Ces résultats positifs de la scolarisation précoce ne doivent pas masquer les inégalités sociales de réussite qui jalonnent le parcours des élèves et dès l’école maternelle, des écarts d’acquisitions très importants existent dont certains vont progressivement s’atténuer (par exemple les écarts entre les enfants nés en début et en fin d’année civile) et certains s’accentuer (les écarts entre catégories sociales). En outre, il ne suffit sans doute pas de s’intéresser uniquement à la préscolarisation d’un point de vue quantitatif (en termes de durée), mais aussi d’un point de vue plus qualitatif (en termes de contenu d’enseignement et de pratiques pédagogiques). A ce titre, il a été montré que certaines activités (les activités musicales d’un certain type) pouvaient avoir des effets très positifs et durables sur le développement cognitif des enfants, effets d’une intensité aussi importante que ceux liés à la scolarisation maternelle à 2 ans3. Indépendamment des éléments qui plaident en faveur de l’école maternelle à 2 ans, il convient aussi de s’interroger sur les modalités concrètes d’organisation de l’école pour les enfants d’un si jeune âge.

Bruno Suchaut

Chercheur et maître de conférences à l’Université de Bourgogne (IREDU-CNRS) à Dijon.

Notes

1 Jarousse J.P., Mingat A., Richard M. (1992), «La scolarisation maternelle à 2 ans: effets pédagogiques et sociaux». Education et formations, n° 31, avri-juin 1992 pp. 3-9.
2 Caille J.P. (2001), «Scolarisation maternelle à 2 ans et réussite de la carrière scolaire au début de l’école élémentaire». Education et formations, n° 60, juillet-septembre 2001, pp. 7-18.
3 Mingat A., Suchaut B. (1996) «Incidences des activités musicales en grande section de maternelle sur les apprentissages au cours préparatoire». Les sciences de l’éducation pour l’ère nouvelle. Vol. 39, N° 3. pp. 49-76.