Scolarisation des 2 ans : ne pas diaboliser
(Agnès FLORIN* - La Lettre de l’Éducation – 15.12.03)

 


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Scolarisation des 2 ans : ne pas diaboliser
(Agnès FLORIN* - La Lettre de l’Éducation – 15.12.03)

En se fondant notamment sur vos travaux, la défenseure des enfants propose, dans son rapport annuel, d’arrêter la scolarisation des enfants de 2 ans. Vous avez protesté. Pourquoi ?

Je relève tout d’abord leur imprécision. Claire Brisset m’attribue un ouvrage dont le titre est erroné. Mais, surtout, le rapport fait un certain nombre de généralisations qui ne correspondent pas aux travaux que nous avons menés. Nous avons, par exemple, comparé les activités qui étaient proposées aux enfants, et réalisées par eux. L’étude porte sur 34 écoles maternelles et sur 35 crèches. Elle montre que l’idée qu’il existerait un modèle unique d’accueil des 2 ans n’est pas pertinente. De même, le rapport me fait dire que l’école ne peut satisfaire le besoin de protection et de sécurité dont a besoin un enfant de 2 ans. Or je n’ai jamais dit ça. Il doit y avoir une confusion avec un autre auteur.

Mais cela correspond à la réalité ?

D’après nos travaux, nous pouvons dire que l’expérience de la collectivité favorise la participation verbale de l’enfant et sa capacité à prendre en compte autrui. En somme, cela favorise le contact. On s’aperçoit, au contraire, que les enfants qui ont connu un accueil individualisé développeront plus facilement une tendance à l’isolement. Par ailleurs, nous menons actuellement une étude sur la qualité de l’attachement à l’adulte. Elle porte déjà sur 78 enfants de 2 à 3 ans accueillis en crèche ou en maternelle. L’hypothèse était que les enfants seraient plus sécurisés en crèche qu’en maternelle. Mais les premiers résultats démontrent l’inverse. En présence, à l’école, d’une enseignante et d’un agent territorial spécialisé en école maternelle (Atsem, NDRL) les enfants se sentent plus sécurisés qu’en crèche. Je ne vois donc pas sur quoi le rapport se fonde pour parler d’un problème de protection et de sécurité dans l’accueil des 2 ans à l’école.

Claire Brisset vous cite également sur la question de l’acquisition du langage ?

Mes propos ont été fidèlement reproduits sur ce point. Mais je regrette que le rapport ne dise rien des études qui montrent que la scolarisation des 2 ans favorise le développement langagier, notamment chez les enfants issus de milieux défavorisés. Et, d’une manière générale, Claire Brisset n’a pas repris ce qui, dans différentes études, va dans le sens de la scolarisation à 2 ans, notamment celles qui montrent qu’elle favorise les apprentissages des enfants issus de mieux défavorisés. Certes, la scolarisation précoce est loin de compenser les effets liés au milieu social ou ceux liés au mois de naissance. Et j’y suis favorable, ce n’est pas tous les enfants ni dans toutes les écoles, car toutes ne sont pas prêtes. Reste que certaines le sont. Et passer sous silence le travail remarquable qui y est accompli et proposer que l’on stoppe cette scolarisation, c’est faire injure aux professionnels qui s’y investissent. Diaboliser ce mode d’accueil est décalé par rapport à la réalité. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faille le généraliser ! Il faut le développer, c’est-à-dire en améliorer la qualité, et le favoriser dans certains endroits. Là où cela existe, en ZEP notamment, il ne faut pas arrêter. Là où cela n’existe pas, il faut voir, selon les conditions locales.

Et faut-il organiser une conférence de consensus, comme le propose Claire Brisset ?

Je suis pour, si elle ne se contente pas d’évoquer la scolarisation. Car cela dépasse le cadre strict de l’école. Il faut évoquer l’ensemble des modes d’accueil, et ce, avec tous les partenaires.

A quelles conditions la scolarisation à 2 ans est-elle bénéfique ?

Il faut, tout d’abord, que l’enfant soit prêt à aller à l’école. A 2 ans, ce n’est pas toujours le cas. Cela signifie un minimum d’autonomie et être prêt à la vie collective. Il faut également aménager une transition entre le monde d’où vient l’enfant et celui qui sera le sien : l’école. C’est une rupture, mais qui permet de grandir si l’enfant est accompagné. De même, il faut faire de la rentrée un moment important, tout en proposant, dans les premiers jours, des activités moins structurées laissant une large place aux jeux libres. Bien entendu, locaux et matériel doivent être adaptés, et la journée doit être organisée souplement : prévoir des moments calmes, éviter la monotonie, concevoir un rythme pédagogique sur l’ensemble de la journée, favoriser le jeu libre. Enfin, bien sûr, il faut un personnel compétent. C’est-à-dire un enseignant et une Atsem à temps complet par classe. Ce n’est pas majoritairement le cas aujourd’hui. 

*Agnès Florin est professeur de psychologie à l’université de Nantes et a publié La scolarisation à deux ans (INRP, 2000).