Mercredi 17 Février 2004
DÉBAT
organisé par la FSU du VAR
17 h 30 - IUFM de La Seyne
avec la participation de Louis Weber de l'Institut de recherches de la FSU


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OMC, AGCS,
vers la privatisation de la société ?

par Louis Weber 

Ouvrage de 160 pages, prix public : 8 €. Il est publié en collaboration avec les éditions Syllepse. On peut consulter le sommaire et la préface sur ce site.

L’organisation mondiale du commerce (OMC) voudrait soumettre toutes les activités humaines à la logique marchande. Parmi les outils dont elle dispose à cette fin, l’accord général sur le commerce des services (AGCS) est un des plus puissants.

L’objectif affirmé est d’aller progressivement, à travers des négociations périodiques, vers le libre-échange des services, dans une perspective totalement néo-libérale. Aucun de ces services n’est exclu a priori, comme le répètent à l’envi les textes de l’OMC.

L’AGCS menace donc directement  les protections qui existent dans tous les pays pour soustraire à la loi du marché des services essentiels comme l’éducation, la culture ou la santé, et plus généralement ceux que l’on appelle les biens publics.

Qu’en est-il après l’échec de la Conférence ministérielle de l’OMC à Cancún récemment ? L’OMC est-elle durablement affaiblie ? Où en sont les négociations sur la libéralisation du commerce des services ? Pourquoi et dans quelle mesure les services publics sont-ils la cible des libéraux ? Quelles sont les lignes de résistance construites au cours des dernières années par le mouvement altermondialiste ? Quelles propositions alternatives fait-il ?

Ce livre aborde l’ensemble de ces questions à partir d’une documentation très complète. Il contient de nombreuses annexes, dont – c’est une première – le texte de l’AGCS lui-même. Sans rien enlever à la capacité de nuisance de l’OMC et des accords qu’elle administre, il met cependant en garde contre une analyse unilatérale qui sous-estimerait les effets propres des politiques néolibérales menées par les gouvernements dans chaque pays.

Louis Weber participe aux travaux de l’Institut de recherches de la FSU. Il a contribué à la rédaction de l’ouvrage Le nouvel ordre éducatif mondial paru chez le même éditeur.

L'ouvrage est vendu au prix de 8 euros, frais de port compris. A commander par lettre à l'adresse de l'Institut (3/5 rue de Metz, 75010 Paris), par fax : 01 48 00 08 93, ou par courrier électronique, en précisant le titre demandé et l'adresse d'envoi. La facture sera envoyée avec l'ouvrage

Pour revenir à la page de présentation des publications

 

Introduction

Peu nombreux étaient sans doute celles et ceux qui connaissaient le nom même de l'Organisation mondiale du commerce quand, il y a un peu plus de quatre ans, José Bové et quelques-uns de ses amis « démontaient » le MacDo de Millau. C'était le 12 août 1999.

La raison immédiate de cette action résume ce qui reste aujourd'hui comme alors une des motivations importantes de la contestation de l'action de l'OMC : les pouvoirs tout à fait exorbitants de cette organisation, née en 1995, moins de cinq ans auparavant. L'OMC a en effet la capacité, inconnue jusqu'alors, de soumettre un grand nombre des décisions que prend un gouvernement national à la censure d'une structure dont les délibérations sont pour la plupart secrètes.

Précisons-le d'emblée  : cette remarque n'a nullement pour objet d'exonérer les gouvernements nationaux de leurs responsabilités. On pourra le constater tout au long de ce livre. Nous ne pensons pas qu'ils soient livrés pieds et poings liés à quelque incontrôlable organisme qui leur serait extérieur. Cette conception existe certes et on peut lire beaucoup de textes donnant l'impression que seule est mise en cause l'activité des organismes internationaux. Mais si, pour donner un exemple, Luc Ferry prépare aujourd'hui une réforme de l'enseignement supérieur dont l'effet principal sera de transformer les établissements publics que sont les universités en entreprises universitaires, c'est parce que le gouvernement le veut bien. Et non pas parce que l'OMC le lui imposerait à travers l'Accord général sur le commerce des services (AGCS).

On peut noter au passage que cette vision peut arranger les autorités nationales, qui ne se privent pas d'en jouer. À les en croire, ce ne seraient pas eux les responsables, mais les contraintes venues de quelques institutions financières internationales. Le plus souvent, il s'agit du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale et, depuis une date récente, de l'OMC. On oublie bien entendu de dire que si l'argument vaut, ô combien, pour les pays économiquement les plus faibles, il ne peut pas être invoqué pour un pays comme la France, même s'il y a plus puissant qu'elle dans le monde aujourd'hui. Avec d'autres pays riches, elle siège en effet dans les Conseils d'administration et autres instances de direction de ces organisations. Elle peut donc parfaitement y faire entendre sa voix. Elle l'a d'ailleurs fait, et chacun s'en est félicité, à l'automne 1998 pour mettre fin aux discussions sur le projet d'accord multilatéral sur l'investissement (AMI)1 au sein d'un organisme dont l'influence est parfois sous-estimée, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

De façon plus générale, les contraintes économiques ont été l'argument principal et parfois unique pour justifier les inflexions des politiques économiques vers davantage de libéralisme, préconisées à de rares exceptions près par les gouvernements successifs au cours des trente dernières années. Ce furent parfois, de façon plus ciblée, l'Europe et les critères de convergence économique du traité de Maastricht. Puis, depuis le traité d'Amsterdam, c'est le pacte de stabilité qui est appelé à la rescousse, celui-là même qui est aujourd'hui remis en cause par l'Allemagne et la France, incapables de contenir leur déficit budgétaire. On tente à chaque fois de faire croire que le gouvernement, plus précisément la politique qu'il mène, n'y serait pour rien.

Cela dit, la capacité de nuisance et le pouvoir de l'OMC sont considérables. Et, à bien des égards, sans commune mesure avec ceux d'organismes plus anciens  ! L'impression prévaut, à juste titre, que les décisions y sont prises en secret, par des personnes échappant à tout contrôle démocratique et même à tout contrôle quel qu'il soit.

Même si l'on admet qu'un accord international empiète par nature sur les prérogatives nationales, le cas mis en lumière par José Bové et la Confédération paysanne était un cas d'école à cet égard. À l'origine, il y avait la décision prise par l'Union européenne d'interdire l'importation de bœuf aux hormones. On notera ici, mais on y reviendra, que c'est l'Union européenne qui représente les pays membres au sein de l'OMC, ce qui contribue d'ailleurs à rendre plus difficile la compréhension des mécanismes à l'œuvre dans le domaine du commerce international. Cette interdiction prise au nom de la santé publique et de la protection du consommateur, on parlait peu encore de principe de précaution, était considérée par les lobbies agricoles des États-Unis et du Canada comme contraire à leurs intérêts commerciaux et aux règles de l'OMC. Leurs gouvernements, relayant ainsi leurs demandes, ont attaqué la décision européenne devant le tribunal interne de l'OMC, l'Organisme de règlement des différends (ORD). Le conflit a suivi son cours, selon les mécanismes que l'on décrira plus loin. Santé publique, donc, contre intérêts commerciaux. Ou, ce qui est la caractéristique majeure de ce type de situation, intérêt général des populations contre intérêts particuliers des entreprises et de leurs investisseurs.

Sans doute ne faut-il pas être totalement dupe : manié dans un contexte de guerre ou même seulement de concurrence commerciale, l'intérêt des consommateurs peut lui-même avoir partie liée avec des calculs économiques qui ne disent pas leur nom. Il reste que le roquefort des éleveurs de brebis de l'Aveyron se trouvait interdit d'Amérique parce que l'Europe ne voulait pas du bœuf aux hormones américain. Et ce n'était pas une version moderne du conflit ancien, popularisé par les westerns, des éleveurs d'ovins et de bovins, et de l'opposition des uns aux clôtures érigées par les autres. Mais le résultat d'un aspect parfaitement intolérable du mécanisme de l'OMC : celle-ci ne prononce certes pas directement de sanction, mais elle autorise le pays qu'elle juge lésé à compenser la perte qu'il estime avoir subie par des sanctions commerciales, en l'espèce la surtaxation du roquefort et d'une centaine d'autres produits. Ceux-ci peuvent être choisis sans aucune référence directe au conflit d'origine. On peut même imaginer qu'un pays choisira de cibler des productions particulièrement fragiles chez son adversaire, pour y déclencher une crise sans commune mesure avec le conflit de départ !

Au-delà de ses aspects purement commerciaux, l'affaire du roquefort véhiculait une charge symbolique forte  : la nourriture du terroir et l'agriculture « paysanne » contre les industriels de l'agriculture et de l'agroalimentaire. On peut penser que c'est cela qui est entré immédiatement et profondément en résonance avec un certain nombre d'angoisses largement partagées en France et dans le monde.

Commencer par ce rappel, c'est partir de la manière dont ces questions ont été perçues dans l'opinion publique. C'est effectivement à partir de l'été 1999 et, dans la foulée, dans la préparation de la Conférence ministérielle de l'OMC à Seattle qu'il y a eu prise de conscience concrète de ce qu'une certaine forme de mondialisation libérale de l'économie pouvait vouloir dire pour le quotidien de tout un chacun et pour le système de valeurs que l'histoire a légué aux sociétés démocratiques.

Cela ne veut évidemment pas dire qu'il n'y avait rien eu avant. Pour nous en tenir au dernier grand cycle de négociations, le cycle de l'Uruguay et sa conclusion par les accords de Marrakech en 1994 sont certes passés à peu près inaperçus si on s'en tient aux échos dans l'opinion publique ou… à la très faible participation des députés et sénateurs au débat parlementaire précédant la ratification du traité final. Mais, déjà, le monde de la culture s'était fortement mobilisé comme on le verra. De même, de nombreuses organisations internationales non gouvernementales avaient mené campagne. Les agriculteurs avaient fait de même, l'accord sur l'agriculture constituant un volet important des accords en débat.

Notre pays était même un peu en retard par rapport à d'autres et notamment par rapport aux pays anglo-saxons. C'est apparu en pleine lumière à Seattle, où la plupart des Européens, et plus particulièrement les Français, ont découvert des organisations et des réseaux sensibilisés depuis longtemps aux questions fondamentales posées par l'OMC. Dès cette époque, quelques syndicats étaient certes dans le mouvement. Mais ce sont surtout les associations de consommateurs ou de défense de l'environnement qui étaient sur le devant de la scène.

On peut sans doute y voir la trace des histoires propres de chacune de ces organisations. Le mouvement syndical s'est en effet constitué et renforcé d'abord dans le cadre national, et même parfois dans celui des entreprises. C'est là qu'était l'adversaire, patronat ou gouvernement. Cet affrontement est moins immédiatement lisible au plan international, même s'il apparaît de plus en plus clairement que c'est là que se décident les politiques dont le syndicalisme combat les effets dans chaque pays. Les organisations non gouvernementales, en revanche, se sont le plus souvent intégrées dans des réseaux internationaux dès leur naissance, et même parfois ont été d'emblée constituées en organisations internationales.

Il n'est donc pas étonnant qu'il y ait eu pendant un temps un certain décalage dans la prise de conscience de ces nouvelles problématiques. Mais la présence syndicale sur le terrain de la mise en cause des traités de libre-échange ou de l'action de l'OMC allait se renforcer rapidement. En Amérique du Nord, d'importants syndicats américains de l'AFL-CIO2, comme celui des transporteurs routiers, des syndicats canadiens, se sont émus des conséquences sur l'emploi d'un traité comme l'ALENA3. En Amérique du Sud, le même phénomène, combiné avec les ravages des crises financières provoquées par la déréglementation des marchés, a suscité de même de fortes mobilisations. Le phénomène est identique dans des régions, l'Afrique et surtout l'Asie, où le mouvement syndical est traditionnellement plus faible. La Confédération internationale des syndicats libres (CISL)4 elle-même intervient maintenant dans les débats des conférences ministérielles de l'OMC, souvent en liaison avec les autres organisations syndicales internationales.

Dans le domaine des services, les grandes fédérations de la CISL concernées, l'Internationale de l'éducation (IE) et celle des services publics (ISP), élaboraient dès 1999 un important document commun mettant en garde contre les conséquences possibles sur les services publics de l'Accord général sur le commerce des services. L'Internationale de l'éducation allait plus loin en demandant à son congrès de Jomtien en 2001 que l'éducation soit retirée du champ de l'AGCS. Des demandes syndicales semblables ont été formulées pour la culture ou pour la santé. Il s'agit en effet de biens publics et l'accès à ces biens devraient être garanti à toutes et à tous. Sans doute, les services publics existant généralement dans ces secteurs sont-ils parfois contestés pour leurs insuffisances. Mais faire de ces biens des marchandises soumises aux règles du marché et de la concurrence n'améliorerait pas cela, bien au contraire.

Il reste que ces questions sont encore très (trop !) mal connues. Ce qui est évidemment un frein important à une prise de conscience élargie des enjeux sous-jacents pour le devenir des sociétés. Que les institutions internationales y trouvent avantage est un fait. Ce n'est guère étonnant dans un monde où l'on croit plus à la valeur de l'opinion, forcément éclairée, de quelques experts qu'aux vertus du débat collectif !

L'ambition de ce livre est donc de contribuer très modestement à inverser ce cours imposé des choses. Il s'inscrit dans la suite d'une première étude sur le sujet publiée précédemment5.

Dans une première partie, nous avons essayé de répondre à des questions aujourd'hui couramment posées : qu'est-ce que l'OMC ? comment fonctionne-t-elle ? quelles sont ses orientations économiques ? pourquoi en parle-t-on autant aujourd'hui alors que les traités commerciaux plus anciens prêtaient moins à controverse ? pourquoi la conférence de Cancún a-t-elle échoué ?

Nous présenterons ensuite la question générale du commerce des services et les principales dispositions de l'AGCS qui, on l'oublie parfois, est en vigueur depuis janvier 1995. Pourquoi cet accord constitue-t-il une grave menace pour les services publics, y compris l'éducation ou la culture ? par quels mécanismes cela passe-t-il ? où en sont aujourd'hui les négociations ? quels effets attendre de l'échec de Cancún ?

Enfin, dans une dernière partie, nous essayerons de définir les contours de quelques pistes possibles pour, comme on dit aujourd'hui, proposer des alternatives au cours actuel des choses.

Très attentif à la question de l'information, nous avons mis en annexe la plupart des textes dont il est question dans ce livre, et notamment le texte de l'AGCS lui-même. Ce qui constitue à notre connaissance une première. Mais c'est, nous semble-t-il une nécessité si l'on veut que se développe un débat cartes sur table, ce que précisément l'OMC, les gouvernement et leurs « experts » rechignent souvent à accepter.

Louis Weber

Table des matières

 

Introduction

 7

   

Première partie : l'OMC

 

L’OMC en bref

 15

Quelle est la « philosophie  » de l'OMC ?

 21

L'OMC est-elle dangereuse ?

 43

Seattle, Cancún : d'un échec à l'autre, est-ce la fin de l'OMC ?

 51

   

Deuxième partie : l'AGCS

 

Qu'est-ce que l'AGCS ?

 63

L'AGCS, un accord inachevé mais évolutif

 81

   

Troisième partie : Actions et perspectives

 

Pour un système commercial international équitable

 97

En guise de conclusion

 117

   

Annexes

 

Accord général sur le commerce des services

 121

Annexe sur les exemptions des obligations NPF

 144

Annexe sur le mouvement des personnes physiques fournissant des services relevant de l'accord

 145

Classification sectorielle des services

 146

Lignes directrices et procédures pour les négociations sur le commerce des services

 147

Modalités du traitement spécial pour les pays les moins avancés dans les négociations sur le commerce des services

 150

Les conférences ministérielles de l'OMC et le commerce des services

 153

L'OMC, l'Europe et la France

 156