C'est bien la troisième inversion de tendance qui se
dessine dans cette dixième vague de l'Observatoire
Ipsos. Initiée il y a une semaine lorsque le Non avait
été crédité d'une poussée de trois points lui
permettant de faire jeu égal avec le Oui, la
progression se confirme aujourd'hui : à gauche comme à
droite, le Non a encore gagné du terrain. Le gain est
de deux points au sein de l'électorat socialiste, où
le rapport de force apparaît, à quinze jours du
scrutin, parfaitement équilibré. L'évolution est
encore plus nette auprès des sympathisants UMP-UDF. En
progressant de 4 points, le Non atteint 28% d'intentions
de vote, contre 72% au Oui. A l'extrême gauche comme à
l'extrême droite, le Non est massif et définitif.
Pronostic
et souhait de victoire : une combinaison favorable au
Non
Donné
toujours gagnant depuis l'inversion de tendance
intervenue fin avril, le Oui n'a plus, depuis deux
semaines, la faveur du souhait de victoire. La majorité
des Français souhaitent aujourd'hui la victoire du Non
(44%, + 2 points), contre 39% à souhaiter la victoire
du Oui (-2 points). L'absence de désir dont souffre le
Oui est la marque d'une campagne pour l'instant en échec.
La sociologie du souhait de victoire du Non est à
l'image des intentions de vote : appui populaire et présence
forte parmi les classes d'âge actives. A l'inverse, le
profil de Oui ressemble à celui de la base étroite de
l'électorat de droite. Majoritaire après 60 ans, chez
les cadres supérieurs, les hauts revenus et les Français
dont le niveau d'instruction déclaré atteint BAC +3,
le Oui est crédité d'un désir majoritaire dans les
seuls électorats UMP et UDF. On a là une nouvelle
preuve d'un référendum soumis au contexte de politique
intérieure.
La victoire
du Oui conserve en revanche très nettement la faveur du
pronostic. Mais cette combinaison contradictoire du
souhait et du pronostic constitue un sérieux handicap
pour les partisans du Oui : elle présente le risque
d'empêcher la construction d'une nouvelle et dernière
dynamique de victoire dans les derniers jours de
campagne.
Le
changement incarné par le Oui est désormais porteur
d'inquiétude
Interrogés
fin avril sur la perception des deux alternatives, les
Français reconnaissaient dans le Oui l'incarnation du
changement. C'est toujours le cas aujourd'hui, malgré
une réduction d'écart de sept points par rapport au
niveau enregistré dans la première mesure. Ce capital
d'image allait alors de pair avec la perception
majoritaire de l'inquiétude suscitée par une éventuelle
victoire du Non. Le changement provoqué par la
ratification n'était pas alors porteur d'inquiétude. A
deux semaines du vote, le réflexe inverse s'est installé
dans l'opinion. Les Français sont désormais 45% à réagir
avec inquiétude à l'idée d'une victoire du Oui (+7
points) contre 35% plus préoccupés par les conséquences
d'un résultat opposé (-3 points).
Une
nouvelle fois, tout se passe comme si le pessimisme économique
et social et la peur du lendemain pesait sur le référendum
européen. Cette inquiétude, de lendemains difficiles
en cas de victoire du Oui, devient majoritaire chez les
sympathisants PS et l'est désormais de manière très
nette chez les salariés du public comme du privé.
L'analyse détaillée des résultats indique encore une
nuance qui mérite d'être mentionnée. Les Français
qui jugent le Non porteur de changement imaginent
logiquement avec inquiétude les effets d'une victoire
du Oui. La réciproque n'est pas vraie et illustre une
fragilité d'image : 40% des électeurs qui accordent au
Oui le bénéfice du changement expriment une préoccupation
quant aux effets de la ratification par la France !
La
"renégociation", plus que jamais imaginée
comme probable et possible
Le
"plan B". L'argumentaire s'est installé, ces
derniers jours avec encore un peu plus de force, au cœur
de la controverse de la campagne. Laurent Fabius en a
fait l'un de ses premiers arguments pour installer à
gauche l'idée d'un Non "tranquille" et
"constructif". Jacques Delors y a fait
allusion en reconnaissant qu'il y avait une porte de
sortie si la France votait Non. Déjà fragilisé la
semaine dernière, le scénario du blocage après un éventuel
Non français devient de moins en moins convaincant. La
conviction qu'une nouvelle discussion sera possible si
le Non l'emporte est aujourd'hui partagée par 61% des
Français (+9 points) ; elle devient majoritaire dans l'électorat
UMP-UDF et atteint 40% chez les partisans du Oui.
La
meilleure connaissance du traité ne contribue pas à
renforcer sa crédibilité
La croyance
parfois admise comme une évidence que la lecture
attentive ou partielle du traité constitutionnel
permettrait au Oui de limiter "le mélange des
genres" et de permettre aux Français de mettre en
cohérence leur adhésion de principe à la construction
européenne et leur vote est battu en brèche. La notoriété
du texte progresse considérablement depuis fin mars.
Mais dans le même temps, son image s'est détériorée,
même si les bonnes opinions l'emportent toujours sur
les mauvaises.
Plus préoccupant
pour le Oui, les Français les plus informés sont plus
présents parmi les partisans du Non. Plus on déclare
avoir lu dans le détail la constitution, plus on
exprime du scepticisme à son égard. Au moment où les
électeurs reçoivent dans leur boîte aux lettres le
document soumis au vote, ce handicap apparaît évidemment
comme un obstacle sérieux, qui nuit encore à la
construction d'une nouvelle dynamique en faveur du Oui.
Dans ce
contexte d'opinion favorable au Non, les intentions de
vote demeurent équilibrées. Il semble que le Non ne
soit pas encore en mesure de profiter pleinement de ses
multiples atouts. La question centrale de la
mobilisation électorale, maintes fois rappelée par
Ipsos ces dernières semaines, est au cœur de cette
incertitude. Le socle sociologique populaire qui caractérise
le profil de l'électorat potentiel du Non pourrait
constituer un ultime handicap de mobilisation.
Les électeurs du Oui semblent en effet plus déterminés
à aller voter, notamment grâce à l'habitude civique
de la frange la plus âgée de l'électorat. La
tentation abstentionniste est plus nette chez les
partisans du Non, du fait de ses caractéristiques
sociologiques mais aussi politiques. Ainsi, l'électorat
du Front National apparaît pour l'instant moins mobilisé
que la moyenne. Le rejet ou l'indifférence de
"cette Europe là" peut trouver dans la grève
des urnes un moyen d'expression alternatif. S'il se
mobilise faiblement comme à l'occasion du dernier
scrutin européen, le niveau du Non en souffrira. Mais
en cas de dynamique comparable à la mobilisation
survenue dans la dernière phase de la campagne présidentielle
de 2002, le Non dispose des atouts pour gagner.