Conseil National SNUipp-FSU

8-9 Mars 2005

Pour une autre Europe
une Europe démocratique, d'égalité et de justice sociale


Le SNUipp, avec la FSU, appelle à participer à l'euromanifestation du 19 Mars à Bruxelles, pour une autre Europe, sociale, solidaire, égalitaire et pacifiste.

Flexibilité, coupes budgétaires, réforme des retraites, déréglementation, aggravation des conditions de travail, réforme de l'assurance maladie, réforme de l'assurance chômage : toutes les régressions sociales actuelles sont coordonnées au niveau européen dans le cadre de la « stratégie de Lisbonne » qui sera à l'ordre du jour du prochain sommet de l'UE les 22 et 23 Mars prochain.

Dans le cadre de la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne, les politiques éducatives dites européennes sont très présentes, ces politiques préconisent une conception d’une éducation soumise à la logique économique de la compétitivité, dominée par l’utilitarisme et l’individualisme (cf. les références au capital humain et à l’employabilité), ou la conception de la “gouvernance” du système éducatif selon la logique et les techniques managériales de l’entreprise. C'est d'ailleurs sur ces orientations que s'appuie Fillon pour légitimer son projet de loi.

C'est pourquoi le SNUipp et la FSU mobiliseront contre ce modèle social libéral, pour le rejet de la directive Bolkestein de libéralisation des services. Le SNUipp portera l'exigence d'une autre Europe, une Europe fondée sur les droits sociaux, les services publics, l'égalité et la justice sociale.

Sur l'Europe, le SNUipp considère qu'il appartient à l'organisation syndicale d'organiser la réflexion collective de la profession sur les questions qui sont liées à son champ d'intervention pour leur permettre de débattre et pour contribuer à éclairer le débat public.

Il le fait à partir de ses champs de responsabilité, de ses mandats, de sa conception du syndicalisme et de son expérience.

En donnant une valeur constitutionnelle à des choix de politique économique, exposés jusque dans les détails dans la partie III, ce Traité dénie aux peuples le droit de choisir souverainement l’orientation des gouvernements qu’ils élisent et constitutionnalise les orientations libérales.

Un mécanisme économique, la concurrence, est érigé en principe d’organisation de la société. Le “marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée” est mis sur le même plan que des valeurs morales, des libertés politiques ou des objectifs sociaux (l’égalité, la solidarité, la justice, la cohésion sociale, …) dont on sait par expérience qu’ils sont peu compatibles avec une société fondée sur la concurrence.

Les services publics ne sont pas inscrits ni dans les valeurs, ni dans les objectifs de l’Union. Le Traité reprend pour l’essentiel les dispositions déjà en vigueur pour les services d’intérêt économique général (SIEG) reconnus par le Traité d’Amsterdam. Les SIEG restent soumis au droit de la concurrence, et peuvent au mieux avoir un statut dérogatoire, soumis à l’interprétation des institutions européennes. Ils ne sont jamais définis par des principes et des critères positifs résultant de la délibération démocratique et du choix des citoyens.

La logique générale du Traité conduit à faire prévaloir la conception libérale des services publics, celle du service universel. Cette conception, qui réduit le service public à destination des plus démunis, organise la société à deux vitesses, alors que par ailleurs le Traité affiche un objectif de cohésion sociale. Elle est aggravée par l’idée qu’une mission de service public peut être aussi bien assurée par un opérateur privé que public.

Le SNUipp estime que la concurrence fiscale conduit à l’affaiblissement des ressources publiques, ce qui ne permettra pas de développer la solidarité au sein des nations, ou entre les nations, ni de financer des grands projets d’éducation, de recherche et d’infrastructures, nécessaires au redressement de la croissance et au plein emploi.

Le Traité reprend en l’état la Charte des droits fondamentaux, adoptée à Nice, qui bien qu'elle affirme certains principes auxquels nous souscrivons, n'énonce que des principes généraux peu contraignants et des droits au rabais : «droit de travailler» contre le droit au travail, droit «à une aide pour le logement» contre le droit au logement. Rien sur le droit des femmes à disposer de leur corps, sur le droit au divorce, sur le droit à un revenu minimum, sur les droits des résidents non-membres de l’union ...

Des orientations politiques décisives sont choisies sans que les Parlements, les organisations syndicales et l’ensemble des partenaires ne soient saisis. Ainsi, si le SNUipp ne conteste pas le projet d'une coopération au niveau européen dans le domaine de l'Éducation, il conteste le déficit démocratique dans lequel s'élaborent les politiques éducatives européennes.

Le préambule, et surtout l’article 51-3, posent des problèmes sérieux au regard des principes de laïcité que la FSU défend. Ce texte consacre des orientations qui vont à l'encontre d'une Europe de la justice, des droits, du plein emploi, du progrès social, d'une Europe démocratique, c'est pourquoi le Conseil National du SNUipp a longuement débattu du projet de traité constitutionnel européen et de l'expression du syndicat, il a réaffirmé son profond désaccord à la constitution. Sans donner de consigne de vote, il continue à exprimer sa condamnation et son rejet de la Constitution.

Le SNUipp informera publiquement de cette position. Il poursuivra cette campagne d'information et de dénonciation (RIS, Assemblées, presse ...), et participera aux mobilisations et initiatives qui vont dans le sens d'une autre Europe, une Europe démocratique, sociale et plus juste.

Pour : 88
Contre : 1
Abstentions : 21
Refus de vote : 0


Pour une autre Europe

« La construction d’une Europe tournée vers la paix, le progrès social et les aspirations démocratiques des peuples est un projet émancipateur qui mobilise beaucoup d’espoirs. Face à la mondialisation libérale, elle peutêtre un point d’appui pour aller vers un monde plus juste ».

C’est avec cette conviction que le SNUipp et la FSU poursuivent aujourd’hui leur réflexion sur le projet de texte constitutionnel qui va à l’encontre de leurs attentes. Au delà des valeurs communes et des principes fondateurs, le projet traite des choix politiques, sociaux et économiques.

Pour le SNUipp « il ne pourra qu’accentuer les orientations libérales et conforter les politiques de restriction des dépenses publiques et des droit ». Elaboré sur le primat « de la libre concurrence et du marché, il exclut explicitement toute harmonisation par le haut des politiques sociales des états membres et est un point d’appui pour poursuivre l’offensive contre les services publics ». Il pose « des problèmes sérieux au regard des principes de laïcité », les aspects sociaux en sont « presque absents ». L’inclusion de la Charte des droits fondamentaux, « bien qu’elle affirme certains principes auxquels nous souscrivons, fige son contenu et hypothèque toute avancée en matière des droits sociaux ».

Ainsi, le SNUipp « réaffirme son profond désaccord au projet de Constitution qu’il condamne ». Il va poursuivre son engagement dans les mobilisations pour une autre Europe et prochainement à Bruxelles le 19 mars prochain (voir article. ). « Il donnera les informations afin que l’ensemble de la profession puisse débattre des enjeux contenus par ce projet ».

 


 

« Il faut rompre avec la logique libérale de l’Europe »
Entretien avec Christian LAVAL

Christian Laval, sociologue, professeur de sciences économiques et sociales, replace la loi d’orientation dans les enjeux nationaux et européens. Il revient également sur les marges de manoeuvre de chaque état de décider de sa politique éducative malgrè les injonctions européennes.

  • Vous estimez qu’une des critique les plus pertinentes faite à la loi Fillon est celle de « la logique de renoncement » à la démocratisation de l’école, pourquoi ?
    • La formule de Jean-Yves Rochex visait le rapport Thélot. Elle s’applique a fortiori à la réforme Fillon. Le manque d’ambition en matière de démocratisation scolaire est le propre de cette loi et l’on devine ses effets dans un contexte d’inégalités sociales et territoriales croissantes. Nombreux sont ceux qui ont dénoncé la réduction des moyens de l’Education nationale jugée trop coûteuse, l’intensification du travail des enseignants, le tri précoce des élèves en fonction de leurs « aptitudes ». L’intention de la loi n’est pas de réduire l’écart de réussite entre les jeunes d’origine sociale différente, il consiste à doter ces derniers d’un minimum de compétences nécessaire à leur employabilité aux plus bas échelons, ce qui est bien différent. Cela conduit pour l’école à entériner comme « naturelles » les différences de réussite scolaire.

 

  • Vous dites que s’il est nécessaire d’analyser le projet de loi et de réfléchir à sa portée concrète sur le système éducatif, il est aussi indispensable de le replacer dans son contexte général. Quel est ce contexte selon vous ?
    • Cette loi, assez confuse dans son élaboration comme dans sa formulation, obéit à une philosophie précise. Comprendre le sens de cette réforme suppose de revenir à la Stratégie de Lisbonne définie en mars 2000, dont elle est l’une des applications. Nous avons changé de niveau et de logique : les politiques nationales participent d’un mécanisme de convergence des systèmes éducatifs qu’aucun traité européen ni même le projet de Constitution n’envisage. En réalité, cette politique éducative n’est qu’un chapitre de la « réforme structurelle » des marchés du travail en Europe, au même titre que la réforme des retraites. Cette dernière en était le volet quantitatif (augmenter le taux d’emploi). La politique éducative en est le côté qualitatif ( former une main d’oeuvre flexible et adaptable). François Fillon est le bon élève de l’Europe libérale, en matière de retraites comme d’enseignement.

 

  • La volonté de porter à 50% le nombre d’étudiants atteignant un niveau d’études supérieures et à 100% le nombre de sorties du système avec une qualification, ne va-t-elle pas pourtant dans le sens de la démocratisation du système éducatif ?
    • Les Européens se sont aperçus tardivement de leur retard en matière de recherche et de formation supérieure par rapport aux Etats- Unis et à l’Asie. L’intention de le rattraper n’est pas contestable. En outre, assurer à tous un « socle minimal de compétences » peut sembler un progrès par rapport à la situation actuelle. Mais la politique suivie est pleine de contradictions. Il s’agit au fond d’adapter l’éducation au « capitalisme cognitif ». D’où la nécessité de faire franchir le « seuil d’employabilité » au plus grand nombre, d’où également l’augmentation du nombre d’étudiants. Mais cela ne signifie pas une réduction des écarts entre milieux sociaux ni ne garantit même une progression culturelle de tous. On l’a bien vu pour le secondaire. N’est-il pas absurde d’appauvrir l’enseignement primaire et secondaire pour financer le supérieur ? Et quelles seront les formations qui vont se développer ? Pour quels emplois ? Pour quel type de société ?

 

  • La disparité des systèmes éducatifs actuels en Europe permet-elle à chaque Etat de définir lui-même sa politique éducative ?
    • L’Union européenne n’est pas censée exercer autre chose qu’une « compétence d’appui, de coordination et de complément ». La réalité est autre. L’idée même de construire un « espace européen de l’éducation et de la formation » entre en contradiction avec les textes. Rien n’empêche donc juridiquement les Etats de mener la politique éducative qu’ils veulent, mais le fait d’avoir subordonné l’éducation aux objectifs de Lisbonne et de l’avoir intégrée aux réformes structurelles de l’emploi les ligotent politiquement. Le débat est aujourd’hui confisqué par des pratiques de convergence qui échappent à tout contrôle des citoyens. Quant aux Etats, ils se servent de l’Europe, comme d’un levier pour imposer la logique libérale dans tous les domaines. Une réorientation de la politique éducative est possible. Mais il faudra rompre avec la logique libérale de l’Europe pour y parvenir.

 

Leur avis...
jeudi 7 avril 2005

Assemblée européenne, Les députés demandent « résolument l’abandon du principe du pays d’origine qui, en l’absence d’un niveau d’harmonisation suffisant des secteurs concernés, et compte tenu des disparités de l’Europe, présente un risque de dumping social et juridique qui favoriserait la concurrence déloyale et la baisse de qualité de l’offre de service ».


Comité syndical européen de l’éducation demande que « Les services de l’éducation ne soient pas couverts par la directive. Au terme des articles 149 et 150 du traité, les compétences de l’Union européenne dans le domaine de l’éducation se limitent à l’adoption d’incitants et de récommandations « du contenu de l’enseignement et de l’organisation du système de l’éducation ». Si une forme quelconque d’activité éducative doit être couverte par la directive sur les services, la politique commerciale de l’UE risque de mettre hors-jeu la répartition des compétences telle qu’elle est exposée dans le traité... »


ATTAC

C’est au nom de l’objectif affirmé dans le traité constitutionnel d’une UE comme « marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée » que la directive Bolkestein va tenter de lever tous les obstacles qui « entravent » ces libertés : les services publics, les monopoles de sécurité sociale, les droits du travail nationaux, la protection des usagers et des consommateurs.


SNUipp FSU

« Les services publics ne sont pas inscrits ni dans les valeurs, ni dans les objectifs de l’union. Le traité constitionnel reprend pour l’essentiel les dispositions déjà en vigueur pour les S.I.E.G reconnus par le traité d’Amsterdam. Ils restent soumis au droit de la concurrence, et peuvent au mieux avoir un statut dérogatoire soumis à l’interprétation des institutions européennes. Ils ne sont jamais définis par des principes et critères positifs résultant de la délibération démocratique et du choix des citoyens. »

 

Libres services en Europe

Ce 19 mars, les services publics se sont invités à l’euromanif bruxelloise pour une autre Europe « sociale et solidaire » et en opposition à la directive dite Bolkestein qui a ouvert le débat européen sur les services.

La commission européenne (C.E) proposait cette directive le 13 janvier 2004, « pour supprimer les règles tatillonnes » qui font obstacle à la liberté d’établissement et de circulation des services. Le 14 mars dernier, José Manuel Barroso, président de la commission rappelait que « si nous devons avoir un marché unique des services, il devra être basé essentiellement sur le principe du pays d’origine avec des garanties appropriées ». Ce principe permet à un prestataire de services d’opérer à travers l’U.E en appliquant la loi de son propre pays. Derrière cette libéralisation sans contrainte se profile le danger du « dumping social » qui harmoniserait les droits sociaux par le bas.

En 1957, le traité de Rome créait le Marché Commun en instituant le principe de liberté d’établissement et de libre prestation des services. En 1987, la signature de l’Acte unique européen marquait le début d’une offensive des politiques libérales contre les services publics dénommés Services d’Intérêt Economique Général en Europe (S.I.E.G). Dérèglementations, ouverture à la concurrence, démantèlements se sont succédé touchant les télécommunications, la poste, l’énergie, les transports. Les mobilisations sociales ont contraint à limiter les ambitions des politiques libérales qui favorisent cette économie où « la concurrence est libre et non faussée » et à prendre en compte la nécessité de combler « le déficit démocratique », à établir des droits sociaux. L’article 16 du traité de Nice classait les SIEG dans « les valeurs communes de l’union », le traité adoptait la Charte des droits fondamentaux, insuffisante en l’état, et de plus sans valeur juridique.

L’enjeu de la bataille qui s’engageait alors et qui se poursuit aujourd’hui, est de faire voter par le parlement une directive cadre pour garantir des droits sociaux et des services publics de qualité. Chargée de rédiger cette loi, la CE ne remettra qu’un « Livre Blanc » (mai 2004) qui renvoie au projet de constitution européenne. Ce dernier précise dans son article III-6 que « l’Union et les états membres, chacun dans les limites de leurs compétences respectives et celles du champ d’application de la constitution, veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions, notamment économiques et financières qui leur permettent d’accomplir leurs missions. La loi européenne établit ces principes et fixe ces conditions... » et ce « sans préjudice » notamment de l’article III-55 qui rappelle que les SIEG restent soumis « aux règles de la concurrence dans les limites où l’accomplissement de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ».

Avec la directive européenne Bolkestein, la conception des services publics développés par le projet de traité constitutionnel et les accords sur l’AGCS (Accord général sur le commerce et les services), les menaces demeurent. D’autres choix pour l’Europe sont possibles afin d’imposer la suprématie de l’intérêt général sur la loi du marché. Cela dépendra pour l’essentiel des rapports de force politiques et sociaux en Europe. Pour preuve, l’annonce faite à Bruxelles, ce 22 mars, de réviser la directive Bolkestein dont la FSU et d’autres organisations demandent le retrait.