Texte
Europe
La
FSU considère que la construction d’une Europe tournée vers
la paix, le progrès social et les aspirations démocratiques
des peuples est un projet émancipateur qui mobilise beaucoup
d’espoirs. Face à la mondialisation libérale et à la
puissance des firmes transnationales, elle peut être un point
d’appui pour aller vers un monde plus juste.
Le
29 octobre 2004, les chefs d’État et de gouvernement ont
approuvé le projet de Traité établissant une constitution
pour l’Europe, qui est aujourd’hui soumis à ratification
par voie référendaire en France. Se prononcer sur une
constitution est une affaire grave et la FSU souhaite que la
campagne référendaire permette un véritable débat démocratique
qui éclaire les citoyens, respecte la pluralité des opinions
et garantisse un accès équitable des différentes expressions
aux médias.
La
FSU considère qu’il est du devoir d’une organisation
syndicale d’organiser la réflexion collective de ses adhérents
sur les questions qui sont liées à son champ d’intervention
pour leur permettre de débattre et pour contribuer à éclairer
le débat public. La FSU a examiné attentivement le texte qui
est soumis au référendum et qu’on ne peut séparer du
contexte général des politiques européennes de ces dernières
années. Elle l’a fait à partir de ses champs de
responsabilité, de ses mandats, de sa conception du
syndicalisme et de son expérience.
En
donnant une valeur constitutionnelle à des choix de politique
économique, exposés jusque dans les détails dans la partie
III, ce Traité dénie aux peuples le droit de choisir
souverainement l’orientation des gouvernements qu’ils élisent.
L’orientation
libérale des politiques constitutionnalisées dans la partie
III est incontestable, qu’il s’agisse de la politique monétaire,
confiée à la Banque Centrale européenne avec comme seul
objectif la stabilité des prix, de la politique économique
subordonnée au respect d’« une économie de marché
ouverte », de la politique de l’emploi orientée vers
« les réformes structurelles du marché du travail »
pour accroître la flexibilité de l’emploi, posée comme
condition de l’amélioration du « taux d’emploi ».
Force est de constater que l’objectif de réduction du chômage
n’apparaît pas dans le Traité.
Cette
orientation de la politique économique, clairement affichée
depuis le Traité de Maastricht, est pourtant loin d’avoir
fait ses preuves : la croissance économique est très
modeste dans la zone euro depuis 15 ans (1,8 % en moyenne) et
l’Union européenne se singularise par le maintien du chômage
à un niveau élevé..
Les
Grandes Orientations de Politique Économique (GOPE) , procédure
de coordination des politiques économiques selon la « méthode
ouverte de coordination », sont décidées dans le secret
des accords inter-gouvernementaux, en liaison avec la commission
européenne, sans que le Parlement européen puisse en débattre.
Les GOPE sont pourtant déterminantes puisqu’elles fixent la
ligne générale des politiques économiques qui s’imposent
aux États à partir du dogme intangible de la limitation des dépenses
publiques. D’autre part, l’Union européenne, par la méthode
ouverte de coordination, formule des recommandations dans des
domaines qui échappent en principe à sa compétence
(l’emploi, la politique sociale, les retraites), mais qui
doivent respecter les objectifs fixés par les GOPE de réduction
des dépenses publiques.
Sans
contrôle parlementaire, et sans que les acteurs sociaux,
habituellement consultés dans ces domaines au niveau national,
aient la garantie de pouvoir intervenir sur les textes en préparation
(sauf quand ils ont les moyens d’une activité permanente de
lobbying comme le patronat), des orientations politiques décisives
(comme recommander la retraite par capitalisation ou l’épargne
retraite, reporter de cinq ans l’âge moyen de cessation
d’activité) sont présentées, sans aucun débat public,
comme « naturelles » et s’imposant d’évidence
comme les « bonnes pratiques ».
Un
mécanisme économique, la concurrence, est érigé en principe
d’organisation de la société. Le « marché intérieur
où la concurrence est libre et non faussée » est mis sur
le même plan que des valeurs morales, des libertés politiques
ou des objectifs sociaux (l’égalité, la solidarité, la
justice, la cohésion sociale,...) dont on sait par expérience
qu’ils sont peu compatibles avec une société fondée sur la
concurrence.
Les
références aux nécessaires politiques d’armement des états
membres, en lien avec l’OTAN, contiennent en germe des choix
politiques et budgétaires qui vont à l’encontre des valeurs
de paix que nous portons.
Les
services publics ne sont pas inscrits ni dans les valeurs, ni
dans les objectifs de l’Union. Le Traité reprend pour
l’essentiel les dispositions déjà en vigueur pour les
services d’intérêt économique général (SIEG) reconnus par
le Traité d’Amsterdam. Les SIEG restent soumis au droit de la
concurrence, et peuvent au mieux avoir un statut dérogatoire,
soumis à l’interprétation des institutions européennes. Ils
ne sont jamais définis par des principes et des critères
positifs résultant de la délibération démocratique et du
choix des citoyens. Faut-il en conclure que la concurrence est
la règle légitime et le choix démocratique l’exception. ?
La
logique générale du Traité conduit à faire prévaloir la
conception libérale des services publics, celle du service
universel. Cette conception, qui réduit le service public à
destination des plus démunis, organise la société à deux
vitesses, alors que par ailleurs le Traité affiche un objectif
de cohésion sociale. Elle est aggravée par l’idée qu’une
mission de service public peut être aussi bien assurée par un
opérateur privé que public.
Le
Traité prévoit une loi européenne sur les SIEG. Il serait
hautement souhaitable que l’Union présente un bilan sérieux
des résultats des politiques de libéralisation des services
publics. Alors que les entreprises publiques sont sommées de
prouver leur efficacité, on ne trouve pas trace d’une requête
équivalente des institutions européennes envers les opérateurs
privés, notamment en ce qui concerne les promesses de baisse
des prix et d’amélioration de la qualité du service.
La
FSU s’inquiète de ce que la concurrence, qui est souvent une
réalité lointaine sur des marchés dominés par des monopoles
privés, puisse par contre devenir la loi régissant les
rapports sociaux entre les hommes et les rapports entre les États.
Le
Traité laisse se développer le dumping social et le dumping
fiscal. La FSU estime que la concurrence fiscale conduit à
l’affaiblissement des ressources publiques, ce qui ne
permettra pas de développer la solidarité au sein des nations,
ou entre les nations, ni de financer des grands projets d’éducation,
de recherche et d’infrastructures, nécessaires au
redressement de la croissance et au plein emploi.
Le
Traité reprend en l’état la Charte des droits fondamentaux,
adoptée à Nice, charte dont la FSU, lors de son dernier congrès,
avait considéré qu’elle « n’était pas acceptable en
l’état » ! Ce texte énonce des principes généraux
peu contraignants et des droits au rabais : « droit
de travailler » contre le droit au travail, droit
« à une aide pour le logement » contre le droit au
logement. Rien sur le droit des femmes à disposer de leur
corps, sur le droit au divorce, sur le droit à un revenu
minimum, sur le droit de grève, sur les droits des résidents
non-membres de l’union. L’engagement d’une consultation
des partenaires sociaux par la commission, l’existence d’une
« clause sociale transversale » dans le Traité ne
peuvent compenser toute une logique qui subordonne le social à
des lois économiques libérales.
En
prenant la responsabilité de publier en janvier 2004 le projet
de directive Bolkestein sur la libéralisation des services, qui
pousse à l’harmonisation des droits sociaux par le bas, la
Commission éclaire de manière inquiétante le Traité.
Dans
le domaine de l’éducation, la FSU constate l’influence
croissante des politiques éducatives dites européennes, dans
le cadre de la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne. Tout
en affirmant que l’éducation reste de la compétence des États,
le Traité déclare que « l’Union contribue au développement
d’une éducation de qualité en encourageant la coopération
entre États membres et, si nécessaire en appuyant et en complétant
leur action ». Cette formulation, utilisée et développée
pour les GOPE, la stratégie de l’emploi et la politique
sociale, est le fondement juridique de « la méthode
ouverte de coordination »
Par
cette méthode, les États et la Commission fixent des « lignes
directrices », établissent des « indicateurs de référence »,
évaluent les « bonnes pratiques » qui permettent
d’atteindre les objectifs fixés et effectuent des
recommandations aux États sur la base de rapports d’évaluation.
La
FSU ne conteste pas le projet d’une coopération au niveau
européen dans le domaine de l’éducation, elle conteste le déficit
démocratique dans lequel s’élaborent des politiques éducatives
européennes.
Des
orientations politiques décisives sont choisies sans que les
Parlements, les organisations syndicales et l’ensemble des
partenaires ne soient saisis. Les « objectifs »,
« indicateurs », et « bonnes pratiques »
sont présentés comme des évidences alors qu’ils traduisent
des orientations bien précises. Celles-ci bénéficient d’une
« légitimité européenne » alors qu’elles résultent
d’un accord intergouvernemental avec la commission, sans
qu’il y ait eu de débat public.
Pourtant,
préconiser, comme le font les rapports conjoints de la
Commission et du Conseil, la conception d’une éducation
soumise à la logique économique de la compétitivité, dominée
par l’utilitarisme et l’individualisme (cf les références
au capital humain et à l’employabilité), ou la conception de
la « gouvernance » du système éducatif selon la
logique et les techniques managériales de l’entreprise,
n’est pas anodin. En démocratie, de telles orientations
devraient se discuter au fond.
La
FSU s’inquiète de ce que le ministre français de l’éducation
nationale s’appuie sur ces orientations pour légitimer ses
propres projets. Au total, des choix décisifs sont faits le
plus loin possible de la délibération démocratique.
Le
préambule et surtout l’article 51-3 posent des problèmes sérieux
au regard des principes de laïcité que la FSU défend.
Ce
texte consacre des orientations qui vont à l’encontre d’une
Europe de la justice, des droits, du plein emploi, du progrès
social, d’une Europe démocratique.
C’est
pourquoi la FSU affirme son profond désaccord avec le projet de
constitution qu’elle condamne.
A
partir de sa problématique syndicale et de ces analyses, la FSU
participera aux initiatives et aux mobilisations qui iront dans
le sens d’une Europe plus démocratique, plus sociale et plus
juste. Opposée au repli anti-européen, elle recherchera toutes
les convergences pour promouvoir une autre conception de la
construction européenne.
Elle
veut contribuer à l’édification d’un mouvement syndical à
l’échelle européenne, capable de proposer une alternative en
faveur d’une Europe qui réponde aux aspirations des peuples.