PERSPECTIVES
L’urgence est maintenant de réorienter profondément
le projet européen

APRÈS LE REFERENDUM DU 29 MAI

10 juin 2005


Le referendum du 29 mai a clairement montré l’opposition très majoritaire en France au projet de traité constitutionnel européen.

Compte tenu de la façon dont la campagne s’est déroulée dans notre pays, et du soutien apporté au traité par les principales forces politiques représentées au Parlement, soutien relayé de façon outrancière par la plupart des grands médias, le résultat du vote témoigne aussi du fossé qui existe aujourd’hui entre la population et sa représentation politique. Ce phénomène n’est pas propre à la France et traduit aussi des décennies de politique européenne menée en dehors de toute véritable information et de tout débat sur les enjeux de la construction européenne.

La FSU pour sa part considère que la construction d’une Europe tournée vers la paix, le progrès social et les aspirations démocratiques des peuples est un projet émancipateur qui mobilise beaucoup d’espoirs. Face à la mondialisation libérale et à la puissance des firmes transnationales, elle peut être un point d’appui pour aller vers un monde plus juste.

A partir de la conviction qu’il est du devoir d’une organisation syndicale d’organiser la réflexion collective de ses adhérents sur les questions qui sont liées à son champ d’intervention pour leur permettre de débattre et pour contribuer à éclairer le débat public, elle a estimé que le projet de traité constitutionnel consacrait des orientations qui vont à l’encontre d’une Europe de la justice, des droits, du plein emploi, du progrès social, d’une Europe démocratique. Elle constate aujourd’hui que ce point de vue a largement prévalu à l’occasion du référendum.

Mais il est clair que le refus du traité constitutionnel traduit aussi le refus des politiques économiques et sociales aujourd’hui dominantes en Europe et que le traité avait pour objet de pérenniser. L’urgence est maintenant de réorienter profondément le projet européen. La volonté populaire telle qu’elle s’est exprimée le 29 mai doit inciter le gouvernement français à saisir toutes les occasions, à commencer par le Conseil européen des 16 et 17 juin prochains, pour aller rapidement dans ce sens. Nous souhaitons que cette orientation soit largement partagée et soutenue en Europe.

La FSU considère que cela passe d’abord par une série de mesures qui peuvent être prises immédiatement :

  • L’abandon des directives qui traduisent l’orientation libérale de la construction européenne qui vient d’être condamnée : la directive Bolkestein, la directive sur le temps de travail, la directive sur les aides de l’Etat qui prétend traiter toutes les régions sur le même plan. Cette décision doit être l’occasion de réévaluer la totalité des directives antérieures ayant conduit à mettre en graves difficultés des services publics essentiels au développement économique et à la cohésion sociale.
  • La réévaluation et l’assouplissement du pacte de stabilité, qui empêche aujourd’hui les pays d’impulser les politiques de relance indispensables pour lutter contre le chômage. Il faut sortir d’un système reposant exclusivement sur des critères économiques, sans aucune référence à des indicateurs de nature sociale. Dans le même esprit, la politique de la banque centrale doit être soumise aux décisions des instances politiques de l’Union. L’Union doit lancer de grands programmes de recherche, de formation, d’environnement et de construction de grandes infrastructures, dont le défaut est cruellement rappelé par l’actualité, avec l’accident du tunnel du Fréjus et l’insupportable transfert sur le tunnel du Mont Blanc. L’Union européenne doit mettre en œuvre des politiques efficaces pour réaliser les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour tout cela, des moyens budgétaires sont nécessaires, ainsi que la mise en place d’un dispositif de crédit garanti par l’Union, permettant de lancer de grands emprunts.
  • L’augmentation du budget européen, avec des ressources propres qui devraient relever de la compétence du Parlement européen. La baisse exigée par les six pays contributeurs nets, dont la France, est la manifestation d’une irresponsabilité dangereuse pour la cohésion de l’Union. Il faut que l’Union dispose de moyens supplémentaires pour soutenir les dix nouveaux pays entrants, qui sinon n’auront d’autre porte de sortie que le dumping fiscal et social, et pour permettre d’éviter la logique du chacun pour soi qui domine la préparation du prochain Conseil européen.
  • Les secteurs de l’éducation, de la santé et de la culture doivent être définitivement retirés du champ de la concurrence en Europe et dans le monde, ce qui suppose leur retrait du champ de l’Accord général sur le commerce des services à l’OMC. Les orientations des politiques éducatives européennes ne doivent pas être le fait du prince, ou des experts européens, mais doivent être démocratiquement débattues.

Pour la renégociation d’un nouveau traité afin de tenir compte de l’élargissement de l’Union et de la nécessité de construire l’Europe politique qui fait aujourd’hui défaut, la FSU rappelle ses principales demandes :

  • Les orientations et les politiques économiques doivent relever du libre choix des citoyens et donc pouvoir être remises en cause à travers le débat démocratique. Elles ne relèvent donc pas d’un traité de nature constitutionnelle ;
  • L’Europe a besoin d’une charte des droits fondamentaux autrement plus ambitieuse que celle adoptée il y a cinq ans et introduite de manière partiellement édulcorée dans le TCE. Elle doit notamment viser à l’harmonisation par le haut des législations sociales. Ce qui suppose que les droits sociaux ne soient pas subordonnés à la norme de la concurrence et qu’ils soient justiciables devant les instances communautaires et non pas simplement “ reconnus et respectés”, sans introduire de droit nouveau, comme c’est le cas dans le TCE. La charte doit aussi intégrer des droits nouveaux, omis dans le TCE, plus particulièrement les droits à l’avortement et à la contraception, à disposer librement de son corps, etc.
  • L’espace public européen doit être libre de toute pression religieuse ou philosophique, conformément aux principes de la laïcité ;
  • Les mécanismes démocratiques doivent être consolidés et renforcés, ce qui suppose un nouvel équilibre institutionnel au bénéfice des instances élues (Parlements européen et nationaux), une plus grande transparence du fonctionnement des institutions européennes, et des moyens accrus d’intervention pour les organisations représentatives des acteurs sociaux, en particulier syndicales.
  • Les services publics doivent non seulement être respectés dans chaque pays mais, pour les secteurs qui s’y prêtent, des services publics européens devraient être créés. Les services d’intérêt général non marchands comme l’éducation ou la santé doivent être clairement reconnus par les textes communautaires. Les services d’intérêt économique général, les domaines auxquels ils s’appliquent, les principes qui les régissent, les missions qu’ils poursuivent, doivent être définis souverainement par les peuples et être de ce fait placés en dehors du champ de la concurrence “ libre et non faussée ”.

Pour atteindre ces objectifs, il nous semble indispensable de créer un nouveau rapport de forces à l’échelle européenne, en rassemblant largement, quelle que soit la position prise par les uns ou les autres sur le projet de constitution. il nous semble que les mouvements sociaux et plus particulièrement le syndicalisme, ont une responsabilité toute particulière. C’est sur ces bases que la FSU, à partir de son expérience et de son champ, se propose d’agir et qu’elle souhaite débattre avec chacun pour construire des interventions convergentes.