Désolé
pour ceux qui ont lu et relu le texte depuis des semaines mais
rassurez-vous, je vais essayer de citer le moins possible les
articles tout en donnant les références précises de ceux
que je vais rapidement évoquer. Chacun sera donc en mesure de
s’y reporter précisément.
En
effet, quand nous disons débattre « Texte
en main », ce n’est pas qu’une façon
de parler tant il est essentiel de dévoiler à ceux qui
doutent encore combien ce « traité établissant une
Constitution européenne » est porteur de dangers.
Comme
toutes les autres, la question des droits sociaux
ne peut être traitée sans faire référence à l'article
I-3 qui constitue le fondement même du
traité, particulièrement les paragraphes 2 et 3.
Les
objectifs de l'Union
2.
L'Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité
et de justice sans frontières intérieures, et un marché intérieur où la concurrence est libre et non
faussée.
3.
L'Union œuvre pour le développement durable de l'Europe
fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché
hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau
élevé de protection et d'amélioration de la qualité de
l'environnement. Elle promeut le progrès scientifique et
technique.
Le cadre étant clairement défini, les rédacteurs ont intégré
dans la partie II du texte « La charte des droits
fondamentaux de l’Union ».
Dans son préambule (p.21), il est précisé que « L’Union…
assure la libre circulation des personnes,
des services,
des marchandises
et des capitaux,
ainsi que la liberté
d’établissement ».
Mais
que vient donc faire dans le préambule même de cette Charte
la répétition de l’article I-4 qui met déjà sur un même
plan les personnes, les marchandises et les capitaux ?
ARTICLE
I-4
Libertés
fondamentales et non-discrimination
1.
« La
libre circulation des personnes, des services, des
marchandises et des capitaux, ainsi que la liberté d'établissement,
sont garanties par l'Union et à l'intérieur de celle-ci,
conformément à la Constitution ».
Puisque
je parle du préambule, j’attire l’attention sur ce qui y
est précisé :
«
…La
Charte sera interprétée par les juridictions de l'Union et
des États membres en prenant dûment en considération les explications
établies sous l'autorité du præsidium
de la Convention qui a élaboré la Charte et mises
à jour ».
On
verra plus loin l’importance de cette précision.
En
ce qui concerne cette « Charte », la FSU a
justement rappelé que lors de son dernier Congrès, elle
avait à nouveau considéré qu’elle « n’était
pas acceptable en l’état ».
D’autre
part, la FSU précise qu’on ne peut lire cette Charte
indépendamment de la partie III, et je rajouterais des
parties I, IV et aussi, pour ne pas dire surtout, de la Déclaration
N°12, page 170.
La
FSU précise que « la partie III, à
travers la stratégie européenne pour l’emploi organise une
logique de flexibilité sur le marché du travail terriblement
menaçante pour les droits sociaux ».
Et
bien justement, commençons par l’Emploi
Art.
II.75.1. et 2. :
« Toute
personne a le droit de travailler (...). Tout citoyen de
l’Union a la liberté de chercher un emploi (...). »
Le
préambule de la constitution française de 1946 prévoit le droit
à l’emploi.
Dans
le projet de constitution européenne, ce droit est transformé
en « droit de travailler » et « en liberté
de chercher un emploi ». C’est une régression. De ce
fait, les gouvernements déclinent toute responsabilité sur
les questions de l’emploi transférant celles-ci sur le dos
des salariés.
Le
« droit de travailler » déresponsabilise ceux qui
ont en charge l’élaboration des politiques notamment
industrielle pour créer et fournir du travail à toutes et
tous.
Chercher
le progrès social vanté par les partisans du "Oui" !!
Art.
III.203. :
« L’Union
et les États membres s’attachent à promouvoir une main
d’œuvre qualifiée, formée, susceptible de s’adapter,
ainsi que des marchés
du travail aptes à réagir rapidement à l’évolution de
l’économie en vue d’atteindre les objectifs visés à
l’article 1.3. » (Art I. 3 : concurrence
et économie hautement compétitive)
La
flexibilité du travail devient une règle constitutionnelle.
Avec "des marchés du travail aptes à réagir
rapidement", les dégraissages d’effectifs, les plans
de licenciement massif et les délocalisations seraient désormais
inscrits dans la Constitution et s’imposeraient à tous !
Plein
emploi
Art
I.3.3. :
« L’Union
oeuvre pour le développement durable de l’Europe fondé
(...) sur une économie
sociale de marché hautement compétitive qui tend au plein
emploi. »
Le
plein emploi n’est pas l’emploi pour tous. Les économistes
libéraux et sociaux-libéraux emploient d’ailleurs
l’expression édifiante de « taux de chômage de plein
emploi ».
Ils
s’accordent pour situer celui-ci en France autour de 5 à
6%. Cela signifie plus d’un million de chômeurs, sans
prendre en compte les temps partiels et la précarité.
Le
plein emploi, c’est donc la possibilité pour le capitalisme
d’avoir en permanence une « armée de réserve »
de chômeurs permettant de tirer les salaires et les
conditions de travail vers le bas.
Sécurité
sociale
Art.
III.117. :
« …
L’Union prend en compte les exigences liées à la
promotion d’un niveau d’emploi élevé, à la
garantie d’une protection
sociale adéquate... ».
On
peut difficilement faire plus vague en terme de garanties
sociales...
Art.
II.94. :
« L’Union
reconnaît et respecte le
droit d’accès aux prestations de sécurité sociale. »
Le
droit à la sécurité sociale laisserait place au « droit
d’accès aux prestations ». C’est un recul
fondamental ! D’autant plus que rien n’est dit sur le
niveau des prestations. Rien n’est dit non plus sur le
financement de la sécurité sociale : assurance ou
solidarité !
Et
que dire de l’article
Art.
III.209.
« Les
États membres agissent en tenant compte… de la nécessité
de maintenir la compétitivité de l’économie de
l’union. Ils estiment qu’une telle évolution résultera…
du fonctionnement du marché intérieur… pour favoriser
l’harmonisation des systèmes sociaux."
Il
fallait oser l’écrire, mais ça a le mérite d’être
clair : ce sera l’harmonisation par le bas des salaires
et des législations sociales et ce d’autant qu’il n’y a
en ce sens aucun garde fou.
Il
n’existe pas non plus dans ces textes de clauses interdisant
ou limitant la régression sociale.
C’est
peut-être avec ce genre d’articles que les partisans du
projet de Constitution veulent sauver les 35 h ?
Charte
des Droits fondamentaux
Dans
le Préambule de la Constitution Française, comme dans la
Constitution Belge, celle d’Allemagne, du Danemark, de l’Espagne,
de Finlande, de l’Italie, de l’Irlande, du Luxembourg, des
Pays-bas, du Portugal, de Suède, le droit au travail, le
droit à un revenu minimum, le droit à un salaire minimum, le
droit à une allocation de chômage, le droit à une pension
de retraite, le droit à la couverture des soins de santé, à
un logement décent sont garantis.
Dans
la constitution européenne, ces droits ne figurent pas. L’Union
Européenne n’adhère pas à la Déclaration Universelle des
Droits de l’Homme (1948) qui reconnaît ces droits sociaux
collectifs. Par contre, elle adhère à la Convention européenne
des Droits de l’Homme qui ne les reconnaît pas.
En
ce qui concerne les « Explications relatives à la
Charte des droits fondamentaux » dont je parlais au début,
elle méritent de s’y arrêter un moment.
C’est
sur la charte des droits fondamentaux que s’appuient les
partisans du oui pour vanter l’avancée sociale que représente,
à leurs yeux, ce projet de constitution. Cette charte donne
un certain nombre de droits qui peuvent apparaître, à première
vue, comme positifs.
Mais
le domaine social n’étant pas familier à la plupart des
gouvernements européens, il a été joint des explications
relatives à cette charte.
Chaque
article a donc son explication fournie par le Præsidium. Si
certains ne posent pas de problèmes, d’autres sont plus
inquiétants...
Art.
II.62. : Droit à la vie.
1.
"Toute personne a droit à la vie"
Noter
que le droit à l’IVG ne figure pas dans le texte…
2.
"Nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté".
Les
explications du Præsidium remettent en cause l’alinéa 2
puisqu’il est dit :
"La
mort n’est pas infligée en violation de cet article dans
les cas où elle résulterait d’un recours à la force
rendu nécessaire :
c)
Pour réprimer conformément à la loi, une
émeute ou une insurrection".
« Un
état peut prévoir dans sa législation la peine de mort
pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre… ».
Art.
II.66. : Droit à la liberté et
à la sûreté
"Toute
personne a droit à la liberté et à la sûreté".
Mais
les explications du præsidium donnent des exceptions pour le
moins étranges...
"Nul
ne peut être privé de sa liberté, sauf
dans les cas suivants :
d)
S’il s’agit de la détention régulière d’une personne
susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné,
d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond.
Art.
II.67. : Respect de la vie privée
"Toute
personne a droit au respect de sa vie privée et familiale,
de son domicile et de ses communications".
Là
encore le Præsidium fixe des limites...
"Il
ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique
[sauf si elle] est nécessaire (...) au bien être économique
du pays, à la protection de la morale."
Attention
à vous si, par exemple, vous défendez le service public.
Vous pouvez être un perturbateur du « bien-être économique. »
Art.
II.69. : Droit de se marier et de
fonder une famille
Rien
sur le droit au divorce, ni sur les unions hors mariage…
Art.
II.70. : Liberté de pensée, de
conscience et de religion
La
laïcité gravement mise en cause…
Art.
II.72. : Liberté de réunion et
d’association
"Toute
personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à
la liberté d’association notamment dans les domaines
politiques et civiques (...) »
Rajout
du Præsidium :
"Le
présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes
soient imposées à l’exercice de ces droits par les
membres des forces armées, de la police ou de
l’administration de l’État."
La
charte des droits fondamentaux accorde le droit à la liberté
de réunion et d’association et le Præsidium accorde le
droit de violer ce même droit. Même pour une réunion
pacifique ! Belle démocratie...
Art.
II.74. : Droit à l’éducation
« Ce
droit comporte la faculté de suivre gratuitement
l’enseignement obligatoire ».
Et
l’École Maternelle ?
Art.
II.85. : Droit des personnes âgées
« L’union
reconnaît et respecte le droit des personnes âgées à
mener une vie digne et indépendante et à participer à la
vie sociale et culturelle ».
Encore
heureux mais avec quoi ? Le mot retraite
ne figure même pas dans ce texte !
Art.
II.88. : Droit de négociation et
d’actions collectives
Cet
article n’est là que pour instituer le
droit de grève pour les patrons, c’est-à-dire le lock-out encore interdit en France !
Art.
II.94. : Sécurité sociale et
aide sociale
"L’Union
reconnaît et respecte le droit d’accès aux prestations
de sécurité sociale (...)"
"L’Union
reconnaît et respecte le droit à une aide sociale et à
une aide au logement (...)"
Le
droit à la sécurité sociale laisserait place au « droit
d’accès aux prestations » ! Et le Præsidium
ajoute dans ces explications :
« La
référence à des services sociaux vise les cas dans
lesquels de tels services ont été instaurés pour assurer
certaines prestations, mais n’implique aucunement que de
tels services doivent être crées quand il n’en existe
pas. »
Là
encore, le Præsidium confirme que cela ne donne aucune
obligation aux États.
Art.
II.96. :
« L’union
reconnaît et respecte l’accès aux services d’intérêt
économique général. »
Explication
du præsidium : « Cet article ne crée pas de
droit nouveau. » Encore une fois, il n’y a
aucun caractère d’obligation.
Art.
II.104. : Droit de pétition
« Tout
citoyen de l'Union ainsi que toute personne physique ou
morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État
membre a le droit de
pétition devant le Parlement européen ».
A
lire avec le fameux article I.47. développé dans le chapitre
« Démocratie »…
« Des
citoyens de l'Union, au nombre d'un
million au moins, ressortissants d'un nombre
significatif d'Etats membres, peuvent prendre l'initiative
d'inviter la Commission, dans le cadre de ses
attributions, à soumettre
une proposition appropriée sur des questions pour
lesquelles ces citoyens considèrent qu'un acte juridique de
l'Union est nécessaire aux
fins de l'application de la Constitution ».
Art
II.111. et 112. : Champ
d’application
« La
présente charte n’étend pas le champ d’application du
droit de l’Union ni ne crée aucune compétence ni aucune
tâche nouvelles pour l’union. »
C’est
pratiquement l’article le plus important de la charte
puisqu’il rassure les États sur le domaine social : il
est bien expliqué que cette charte n’est là que pour le décor,
elle ne crée aucune compétence nouvelle, ce que s’empresse
de confirmer le præsidium : « le paragraphe 2
confirme que la charte ne peut avoir pour effet d’étendre
les compétences et tâches conférées à l’Union. »
Voilà
rapidement quelques points fondamentaux, il y en a bien
d’autres.
On
l’aura compris : d’un côté, des mesures
contraignantes en ce qui concerne le respect de « la
concurrence libre et non faussée » et de
l’autre, aucune obligation pour les droits sociaux !
C’est
la loi du « renard libre dans le poulailler libre » !
Tout
cela justifie bien « la condamnation et le rejet de
cette Constitution ».
Et
le meilleur moyen, c’est un NON massif pour une Europe enfin
sociale ! |