Je
suis ici porteur d’une parole syndicale. Elle est fondée
pour la FSU sur nos débats, sur nos luttes, sur nos
revendications, sur nos propositions. Cette parole n’est
pas une consigne de vote ou un appel à voter, tout
simplement parce que nous pensons que chacun fera son choix
de citoyen en toute responsabilité et parce que nous avons
confiance dans la capacité de chacun de choisir - et quel
que soit le choix des collègues nous le respectons.
En
revanche cette parole repose sur un mandat clair :
c’est le rejet du projet de texte constitutionnel. Et je
veux porter ce mandat avec des analyses, des arguments, des
convictions, précisément pour les faire partager et éclairer
ce choix.
Une
des caractéristiques parmi les plus positives de ce débat
est qu’un nombre de plus en plus grand de français a lu,
épluché, comparé le texte qui est soumis au vote. Je ne
vais pas procéder en quelques minutes à une énième
lecture. Je ne vais pas m’étendre sur la pauvreté du
droit à l’éducation et la menace de marchandisation, ni
sur la supercherie des SIEG qui ne garantissent en rien les
services publics, ni sur les menaces contre la laïcité que
contiennent le préambule et l’article 52...
Je
voudrais plutôt traiter deux arguments qui sont souvent développés
en direction des syndicats et des forces sociales en lutte.
— Le
premier consiste à dire : « vous avez des
revendications, vous contestez la politique du gouvernement
Raffarin ; d’accord mais le référendum n’est pas
le lieu pour ça ; ne donnez pas une claque à l’Europe »
Et l’on ajoute en général que trop souvent les
gouvernements rendent l’Europe responsable de leurs
propres choix politiques, ce qui est vrai. Mais c’est
oublier ce qui est une caractéristique du texte que l’on
nous soumet : il vise à figer et « constitutionnaliser »
précisément les principes et les orientations qui
sous-tendent toutes les politiques que nous combattons en
matière de salaires, de retraites, de droits sociaux,
d’emploi, de services publics, de fonction publique ou
d’école. On prétend nous demander d’approuver un texte
qui verrouille et conforte tout ce que nous combattons et on
nous enjoint d’éviter le mélange des genres. Question
sophismes on fait difficilement mieux.
Et
c’est au contraire forts de nos refus, de nos luttes, de
nos revendications, de notre expérience que nous récusons
ce projet !
— Le
second argument est celui du « point d’appui » ;
l’idée est à peu près la suivante : certes le
texte est insuffisant mais il contient des points d’appui
qui vont permettre d’avancer. C’est en soi un argument
recevable ; c’est même un grand classique du
syndicalisme ; et je n’accuse pas ceux qui
l’utilisent d’être vendus au néo-libéralisme. Je
pense simplement que cet argument doit toujours être soumis
à l’examen critique en se posant la question :
« est-il valable, dans le cas présent ? Ici et
maintenant ? » Et pour cela il faut regarder à
la fois le texte et le contexte.
Le
problème aujourd’hui est que le texte est conçu
justement pour ne pas offrir de points d’appui. Par
exemple, la Charte des droits sociaux,est souvent présentée
comme un filet de sécurité qui n’est pas au niveau de la
protection que nous avons mais qui sans rien retirer aux
droits plus favorables peut-être justement un appui pour
ceux qui ne les ont pas, un minimum garanti...On oublie
simplement que son contenu et son contexte - des principes
peu contraignants, des droits timides et étriqués face à
une partie III qui édicte le détail de toute vulgate néolibérale-,
son statut juridique et son champ d’application, tout
l’empêche de jouer ce rôle et de à contribuer
effectivement à fai re converger les droits vers le haut.
C’est sans doute le patronat européen, l’UNICE, qui le
dit le plus clairement : « Ces considérations
restreignent le pouvoir d’interprétation des cours de
justice (...) et empêchent l’extension potentielle à
l’avenir des droits garantis par la charte ». En
revanche le règne de la concurrence au sein de l’union
elle-même, le dumping social et fiscal, l’absence de
volonté de convergence qui traversent le reste du projet,
tout cela risque de tirer chacun vers ce seul minimum
pauvrement garanti. Plutôt que de points d’appui pour
grimper ensemble on a le risque d’une glissade générale
vers les profondeurs.
Quant
au contexte, il n’est pas celui d’un libéralisme
partout vainqueur et incontesté : le mouvement citoyen
qu’a fait naître en France ce débat et duquel nous
participons le montre bien. Le montrent aussi les luttes qui
se mènent dans de multiples pays européens autour de
revendications convergentes avec les nôtres, sur
l’emploi, les salaires, les services publics ou contre la
directive Bolkestein ; le montrent les Forums sociaux
comme la manifestation de Bruxelles. Nous n’avons pas découvert
aujourd’hui l’Europe ; nous y luttons depuis des
années ! Et nous avons la responsabilité de nous
appuyer là-dessus pour ne pas laisser faire, pour
travailler avec nos camarades européens à construire une
autre Europe : y renoncer, accepter sans se battre un
tel projet serait le meilleur moyen de détacher un peu plus
les peuples de la nécessaire construction européenne.
On
nous prédit souvent le chaos en cas de victoire du non. Je
ne veux pas opposer à cette prédiction catastrophiste,
l’annonce de lendemains sûrement et immédiatement
radieux.
Il
va falloir continuer à lutter en France et en Europe ;
par exemple pour construire et imposer des principes
garantissant les services publics, y compris des services
publics européens ; par exemple pour bâtir un véritable
droit à l’éducation et des objectifs communs de réussite
scolaire.
Il
va même falloir, quel que soit le résultat, donner une
dimension nouvelle à nos luttes et rassembler en dépassant
les clivages entre partisans et adversaires du texte.
Simplement
si le texte est adopté, une chose est à peu près certaine :
il ne sera pas renégocié d’ici de longues années ;
et nos luttes seront plus difficiles. Inversement s’il est
rejeté le champ des possibles reste ouvert et nous pouvons
espérer un nouvel élan, fondé sur plus de confiance, sur
la capacité de rassembler en France et en Europe pour de
nouvelles étapes de la construction d’une Europe de la démocratie,
des droits, de l’éducation, de la justice, du développement
durable et partagé, de la paix. Cette Europe nous avons la
conviction qu’elle est aujourd’hui plus que jamais nécessaire
mais aussi que tous nos débats montrent qu’elle est
possible.