Samedi 21 Mai 2005

Europe : La FSU à République avec les syndicalistes

Intervention de Gérard ASCHIÉRI, Secrétaire Général


Intervention de la FSU

Je suis ici porteur d’une parole syndicale. Elle est fondée pour la FSU sur nos débats, sur nos luttes, sur nos revendications, sur nos propositions. Cette parole n’est pas une consigne de vote ou un appel à voter, tout simplement parce que nous pensons que chacun fera son choix de citoyen en toute responsabilité et parce que nous avons confiance dans la capacité de chacun de choisir - et quel que soit le choix des collègues nous le respectons.

En revanche cette parole repose sur un mandat clair : c’est le rejet du projet de texte constitutionnel. Et je veux porter ce mandat avec des analyses, des arguments, des convictions, précisément pour les faire partager et éclairer ce choix.

Une des caractéristiques parmi les plus positives de ce débat est qu’un nombre de plus en plus grand de français a lu, épluché, comparé le texte qui est soumis au vote. Je ne vais pas procéder en quelques minutes à une énième lecture. Je ne vais pas m’étendre sur la pauvreté du droit à l’éducation et la menace de marchandisation, ni sur la supercherie des SIEG qui ne garantissent en rien les services publics, ni sur les menaces contre la laïcité que contiennent le préambule et l’article 52...

Je voudrais plutôt traiter deux arguments qui sont souvent développés en direction des syndicats et des forces sociales en lutte.

— Le premier consiste à dire : « vous avez des revendications, vous contestez la politique du gouvernement Raffarin ; d’accord mais le référendum n’est pas le lieu pour ça ; ne donnez pas une claque à l’Europe » Et l’on ajoute en général que trop souvent les gouvernements rendent l’Europe responsable de leurs propres choix politiques, ce qui est vrai. Mais c’est oublier ce qui est une caractéristique du texte que l’on nous soumet : il vise à figer et « constitutionnaliser » précisément les principes et les orientations qui sous-tendent toutes les politiques que nous combattons en matière de salaires, de retraites, de droits sociaux, d’emploi, de services publics, de fonction publique ou d’école. On prétend nous demander d’approuver un texte qui verrouille et conforte tout ce que nous combattons et on nous enjoint d’éviter le mélange des genres. Question sophismes on fait difficilement mieux.

Et c’est au contraire forts de nos refus, de nos luttes, de nos revendications, de notre expérience que nous récusons ce projet !

— Le second argument est celui du « point d’appui » ; l’idée est à peu près la suivante : certes le texte est insuffisant mais il contient des points d’appui qui vont permettre d’avancer. C’est en soi un argument recevable ; c’est même un grand classique du syndicalisme ; et je n’accuse pas ceux qui l’utilisent d’être vendus au néo-libéralisme. Je pense simplement que cet argument doit toujours être soumis à l’examen critique en se posant la question : « est-il valable, dans le cas présent ? Ici et maintenant ? » Et pour cela il faut regarder à la fois le texte et le contexte.

Le problème aujourd’hui est que le texte est conçu justement pour ne pas offrir de points d’appui. Par exemple, la Charte des droits sociaux,est souvent présentée comme un filet de sécurité qui n’est pas au niveau de la protection que nous avons mais qui sans rien retirer aux droits plus favorables peut-être justement un appui pour ceux qui ne les ont pas, un minimum garanti...On oublie simplement que son contenu et son contexte - des principes peu contraignants, des droits timides et étriqués face à une partie III qui édicte le détail de toute vulgate néolibérale-, son statut juridique et son champ d’application, tout l’empêche de jouer ce rôle et de à contribuer effectivement à fai re converger les droits vers le haut. C’est sans doute le patronat européen, l’UNICE, qui le dit le plus clairement : « Ces considérations restreignent le pouvoir d’interprétation des cours de justice (...) et empêchent l’extension potentielle à l’avenir des droits garantis par la charte ». En revanche le règne de la concurrence au sein de l’union elle-même, le dumping social et fiscal, l’absence de volonté de convergence qui traversent le reste du projet, tout cela risque de tirer chacun vers ce seul minimum pauvrement garanti. Plutôt que de points d’appui pour grimper ensemble on a le risque d’une glissade générale vers les profondeurs.

Quant au contexte, il n’est pas celui d’un libéralisme partout vainqueur et incontesté : le mouvement citoyen qu’a fait naître en France ce débat et duquel nous participons le montre bien. Le montrent aussi les luttes qui se mènent dans de multiples pays européens autour de revendications convergentes avec les nôtres, sur l’emploi, les salaires, les services publics ou contre la directive Bolkestein ; le montrent les Forums sociaux comme la manifestation de Bruxelles. Nous n’avons pas découvert aujourd’hui l’Europe ; nous y luttons depuis des années ! Et nous avons la responsabilité de nous appuyer là-dessus pour ne pas laisser faire, pour travailler avec nos camarades européens à construire une autre Europe : y renoncer, accepter sans se battre un tel projet serait le meilleur moyen de détacher un peu plus les peuples de la nécessaire construction européenne.

On nous prédit souvent le chaos en cas de victoire du non. Je ne veux pas opposer à cette prédiction catastrophiste, l’annonce de lendemains sûrement et immédiatement radieux.

- Il va falloir continuer à lutter en France et en Europe ; par exemple pour construire et imposer des principes garantissant les services publics, y compris des services publics européens ; par exemple pour bâtir un véritable droit à l’éducation et des objectifs communs de réussite scolaire.

- Il va même falloir, quel que soit le résultat, donner une dimension nouvelle à nos luttes et rassembler en dépassant les clivages entre partisans et adversaires du texte.

Simplement si le texte est adopté, une chose est à peu près certaine : il ne sera pas renégocié d’ici de longues années ; et nos luttes seront plus difficiles. Inversement s’il est rejeté le champ des possibles reste ouvert et nous pouvons espérer un nouvel élan, fondé sur plus de confiance, sur la capacité de rassembler en France et en Europe pour de nouvelles étapes de la construction d’une Europe de la démocratie, des droits, de l’éducation, de la justice, du développement durable et partagé, de la paix. Cette Europe nous avons la conviction qu’elle est aujourd’hui plus que jamais nécessaire mais aussi que tous nos débats montrent qu’elle est possible.